«C'est beau l'Europe, non?»

Voyage au Sénégal sur les traces des jeunes tentés par l'aventure des Canaries. Le carnet de route de notre envoyée spéciale.

Dakar, quartier des ambassades. Celle de Suisse est bien sécurisée: un gardien fort sympathique me passe au détecteur de métaux. L'engin sonne à la hauteur de mon dos («Ah, ça c'est typique des femmes!», s'exclame le gardien, hilare), mais me voilà prête pour échanger quelques mots avec l'ambassadeur Livio Hürzeler.

Plus de 1200 francs
Beaucoup de «candidats au départ» pour les Canaries partent en pirogue depuis les faubourgs de Dakar comme Thiaroye, de la «petite Côte» ou encore de Saint-Louis, me confirme-t-il, assis sur son canapé. Ils paient souvent l'équivalent de 1200 à 1500 francs suisses. Des fois, bien plus.

«Les gens sont fatigués»
«Mon caddy m'a récemment dit: «La mer est bonne. Je crois que je vais partir». Et pourtant, il gagne environ 120 000 francs CFA par mois. C'est un salaire très correct. Au-dessus de la moyenne», soupire Livio Hürzeler. Il ajoute: «Les gens ici sont fatigués du système mais ils voient peu de changement possible car l'opposition n'offre pas de véritable alternative.

Donc beaucoup de jeunes, voyant que la situation économique ne s'améliore pas, tentent l'«aventure» en pirogue, même s'ils en connaissent les dangers».

Surtout que des élections présidentielles auront lieu au Sénégal en 2007 et le président Abdoulaye Wade, qui bénéficie d'une grande aura à l'extérieur de son pays, n'est pas vraiment en odeur de sainteté auprès des jeunes Sénégalais.

Après le confort du bureau de l'ambassadeur, place aux secousses du taxi-brousse pour Saint-Louis, ville située à 260 kilomètres de Dakar. Pas de nids-de-poule sur la route, mais de beaux baobabs qui la bordent. Et quelques filous dans les gares routières.

Saint-Louis et ses pêcheurs
Saint-Louis! La ville avec ses grandes bâtisses coloniales est une pure merveille. Reliée par un pont à la terre ferme d'un côté, et à la Langue de Barbarie de l'autre, Saint-Louis est une ville où il fait bon vivre. Jean Mermoz l'a bien compris, lui qui y a séjourné à plusieurs reprises alors qu'il était aviateur de l'Aéropostale. Le patron de l'Hôtel de la Poste se fait d'ailleurs toujours un plaisir de montrer la fameuse chambre 219 aux curieux qui désirent marcher sur les traces de l'aventurier. Mais cessons de rêver: c'est bien d'ici que partent de nombreux migrants désespérés vers les Canaries. La ville n'est qu'à quelques kilomètres de la Mauritanie où les départs en masse se font principalement depuis le port de Nouadhibou.

Le convoyeur qui a fait passer 1000 personnes
"Émigration clandestine: Baye Seck, le chef du réseau de Saint-Louis, tombe". Le convoyeur a fait entrer 1000 personnes en Espagne", titre "Le Quotidien" en Une. Voilà du grain à moudre! Sacré hasard (ou chance?), le balcon de ma chambre d'hôtel donne pile poil sur le Palais de Justice où Baye Seck sera déféré.
Ni une, ni deux, je file dans le bureau du procureur pour avoir plus d'informations, alors que des dizaines de femmes s'accrochent aux grillages. «Revenez dans une heure», lance la secrétaire, majestueuse dans son boubou rose. Une heure plus tard, le procureur n'est toujours pas là. Pas grave: un bon yassa aux crevettes me permet de patienter.

Pêcheurs de jour, passeurs de nuit
Balade dans les ruelles de Saint-Louis. Tahir, assis sur un muret au bord de la mer, est pensif. Pêcheur accidenté de 43 ans, il évoque les dangers de la mer, lui qui a échappé à la mort à plusieurs reprises. Et le fait que les poissons se font de plus en plus rares à Saint-Louis. Surtout durant le mois d'août, où ils partent se reproduire au large de la Mauritanie. Voilà qui explique pourquoi de nombreux pêcheurs s'adonnent à des activités de passeurs la nuit: ça rapporte davantage.

"Quand il y a peu de mulets, de capitaines ou par exemple de seiches, on part en haute mer pêcher le requin et la raie. Mais ce sont des poissons sacrés pour nous. On ne les mange pas, on les exporte: les Chinois raffolent notamment des ailerons de requins". Difficile d'aborder le sujet des clandestins. Tahir confiera toutefois qu'ils partent «de là-bas, près du phare, à l'embouchure du fleuve Sénégal, dans des grandes pirogues pour la pêche pélagique d'environ 70 places».

Trop vieux (l'espérance de vie au Sénégal avoisine les 50 ans) et résigné, Tahir ne tentera pas l'aventure. «Même si je n'ai plus d'avenir ici». Mais il comprend ceux qui partent: «le chômage pousse les jeunes à chercher mieux ailleurs et certains sont prêts à tous les sacrifices pour atteindre l'Europe. Même à frôler la mort»

La traversée
Djibi, guide à ses heures perdues, m'emmène sur la Langue de Barbarie, plus au Sud. Il y a un parc national où nichent des milliers d'oiseaux. Pas de bol, août n'est pas vraiment le bon mois pour les observer. «Un de mes frères a tenté l'aventure. Il est mort en mer. Je lui avais déconseillé de faire ce voyage. Mais il était désespéré», souligne Djibi tout en montrant des pélicans. Lui-même ne veut pas tenter le coup bien qu'il ait des amis en Espagne qui ont «réussi la traversée».

"Mais je ne crois pas qu'ils soient heureux. Ils travaillent durs à ramasser des fruits et des légumes, sont entassés à plusieurs dans une chambre. L'un m'a offert une montre «Impérial» qui doit valoir 300 euros. Mais je m'en fous de sa valeur. Une montre ça ne sert qu'à donner l'heure, non?". Djibi a retrouvé le sourire. Baye Seck, le passeur, pas. C'est aujourd'hui qu'il est déféré devant la justice. Il aura ensuite sa place dans une grande prison jaune au nord de l'île. Mais sa famille fera pression pour qu'il en sorte le plus rapidement possible.

Dans le village de Guet N'Dar
Commissariat de Sor, de l'autre côté du fameux pont Faidherbe, sur la terre ferme. J'entre. Intérieur sombre. Deux types dorment sur une natte, derrière des barreaux plutôt rouillés. Le commissaire Djibril Camara me reçoit. Très disponible. S'ensuit une longue discussion sur la manière dont il a traqué Baye Seck et ses acolytes. Passionnant.

Sous un soleil de plomb, Boubacar (j'ai dû en croiser une trentaine durant mon périple!) me fait ensuite visiter son village de pêcheurs. Celui de Guet N'Dar, le village de Baye Seck en fait. Boubacar ne m'a pas vu sortir du commissariat. Tant mieux: il a probablement lui-même quelque peu contribué à organiser des «voyages».
«Je comprends ces gens qui rêvent de l'«eldorado européen» mais je ne ferai jamais ça. Mais, c'est vrai: le Vieux (ndlr, le président Wade) ne fait rien pour les jeunes. Quand on n'arrive pas à nourrir sa famille, la seule solution est donc de partir», dit-il furtivement. Boubacar, lui non plus, ne veut pas trop s'étendre sur le sujet «clandestins». Il préfère parler de poissons.

"L'union fait la force et...."
Changement de décor. Nous sommes à Joal, au Sud de Dakar. C'est la région de la «petite côte», tant prisée par les touristes amateurs de beaux hôtels. De là partent aussi beaucoup de jeunes. De Mbour, de Joal, de Djifer, petit village au bout d'une langue de sable. Nombreux sont les gens qui témoignent du sort de personnes parties. Barthélémy, par exemple. Qui, au passage, glisse des slogans bien à lui comme: «L'union fait la force et l'oignon fait la soupe». Et ce sont davantage les accidents en mer qui sont évoqués que le «paradis» des Canaries.

Henriette s'exprime avec fatalisme: "C'est un risque à prendre. Quand un jeune part, c'est souvent une famille entière qui s'est cotisée pour le «billet». Car on espère ensuite recevoir quatre fois plus." Le soir, en mangeant un barracuda, je tombe sur un reportage télévisé d'une chaîne sénégalaise. Un reportage sur des Sénégalais qui ont fait la «route terrestre» via la Mauritanie et le Maroc. Ils se trouvent aujourd'hui au Maroc sans pouvoir rentrer chez eux. Entassés dans une petite pièce, ils racontent leur calvaire: ils ont tenté plusieurs fois de forcer les barrages de police et escalader les grillages pour arriver dans l'enclave espagnole de Ceuta et Melilla. Sans succès.

Contraints de mendier
Deux d'entre eux, blessés aux jambes par des tirs de policiers, boitent. Sans argent, ils sont aujourd'hui contraints de mendier. Ou de tenter une nouvelle fois de forcer la porte de l'Europe au risque d'y perdre la vie. Par rapport à d'autres, ils peuvent s'estimer privilégiés: débordée, la police marocaine aurait déjà refoulé des migrants en les abandonnant en plein désert.
Fatima, la tenancière du restaurant, a les yeux rivés sur l'écran. «Pfffff….», souffle-t-elle, en finissant sa banane flambée. «C'est terrible, ça!»

Il en faudrait plus pour décourager Ibrahim. Il décortique un petit tioff qu'il vient de pêcher sur la plage. "Il faut que je parte là-bas. C'est beau l'Europe, non? Comment tu peux toi repartir en Europe et me laisser comme ça dans la misère?"

Source: Le Boy Town Desk

1 commentaire:

Marcellin Artiste Peintre Photographe Avignon a dit…

http://joalfadiouth.blogspot.com



Scandale Foncier a Joal Fadiouth : le Maire Paul Ndong et taffa diouf impliqués:

Le Maire de Joal Fadiouth et Moustaffa Diouf impliqués dans un scandale foncier!

Bonjour

Nous sommes le Jeudi 17 Juin 2010 et nous n avons a ce jour aucune réponse a toutes les promesses que nous ont fait l état Sénégalais de suivre et de nous restituer notre bien " Maison et terrain a joal Fadiouth " qui nous a été volé par le Maire Paul Ndong et son bras droit Moustaffa Diouf dit TAFFA. Nous espérons trouver un arrangement et que nous soyons dédommager de se racket par l État Africain que que les auteurs identifiés soient punis . Encore une fois le Sénègale devient une Dictature au fur et a mesure des année .Alors avant d investir lisez notre blog avec tous les éléments qui démontrent l Arnaque " photos et document légales a l appui.
Peut être que l etat de la République du Sénègal ..Fera quelque chose?

Si Elle est bien une DEMOCRATIE????

 
{http://www.leboytown.blogspot.com/}.