L'histoire de la petite Fatoumata Camara, 14 ans, n'est pas un conte de fée mais plutôt un roman en noir avec sa cohorte de drames, d'incendies, de disputes familiales et de troubles surna turels.Un conte africain où le diable côtoie l'humain, où tout est d'une incroyable lourdeur.
u débouché d'un des couloirs étroits de la Sicap Liberté 1, derrièrele stade Demba Diop, la maison des Camara est d'un sinistre de cimetière. Bâtisse aux murs gris, sans éclat ni chaleur, sombre dans une quiétude glauque comme si les rayons du soleil ne dardaient plus sur cette demeure de ce quartier à peine populeux. Dans la cour, la maîtresse de maison repasse des habits aidée en cela par sa plus jeune fille, Fatoumata.
A l'intérieur, les pièces de la maison sont tachées de traces noires, donnant l'impression d'avoir été ravagées par le feu. L'une des plus grandes filles de la
famille Camara, Awa, taille moyenne, visage en couteau et foulard sur la tête, s'emballe tout d'un coup, comme transportée par une frayeur soudaine : «Vous voyez cette natte-là, elle vient juste de prendre feu sous nos yeux impuissants», s'affole-t-elle. Une histoire de feu? Awa Camara, visiblement tétanisée, désigne du doigt sa sœur cadette, Fatoumata, et lance incrédule: «Elle...Elle pourrait tout vous raconter.»
Fatoumata Camara est une frêle jeune fille de 14 ans au teint noir, aux grands yeux, menue comme tout, sans assurance et qui tombe facilement le regard vers le sol. Pour narrer son «conte noir», Fatoumata cherche d'abord du regard sa maman, comme pour ne pas replonger dans son cauchemar. Elle embraie la manivelle du passe et se retourne sur ce mois de juillet 2006 où elle était allée en vacances chez sa grande sœur à Yeumbeul. Elle avait toujours l'habitude de se rendre dans cette banlieue lointaine de Dakar, couvée par cette grande sœur adorée qui l'accueillait à bras ouverts et qu'elle aidait volontairement dans les tâches ménagères.
Mais cette fois-ci, rien n'allait être comme avant et la jeune fille fait une rencontre, inhabituelle, qui allait diviser sa famille et embraser toute son innocence. Fatoumata raconte : «Un jour vers 19 h, avant la prière du Timis, ma grande sœur m'avait envoyée à la boutique du coin. A quelques mètres de notre maison, un vieil homme habillé bizarrement et assis à même le sol m'a interpellée. Ce qui m'avait frappée en premier chez lui, c'est qu'il n'avait pas de membres inférieurs, pas de jambes en fait. Je lui ai serré la main et il a commencé à me poser des questions sur ma vie. A la suite de cela, il m'a révélé que je possédais un pouvoir surnaturel.
J'étais évidemment très étonnée voire interloquée sur le coup. Il a continué et m'a dit qu' à l'avenir je rencontrerais des problèmes dans la vie. Mais le plus étonnant, c'est qu'il m'a parlé d'une amie de ma mère, Marie Faye, et m'a demandé si je la connaissais. Je lui ai répondu que oui. Et il m'a conseillé d'offrir un tissu sans valeur à cette dernière à mon retour à Liberté 1. Je lui ai posé la question : «Pourquoi devais-je le faire ?» Et il m'a répondu : «Fais-le, tu verras... «Avant de se séparer, il m'a remis du sable d'une blancheur inhabituelle contenu dans un sachet en plastique et il m'a répété d'en prendre soin, que c'était une protection et de ne le montrer à personne. Il a fini par me dire d'être très discrète sur notre conversation.»
Les vacances finies et à la veille de l'ouverture des classes, Fatoumata retourne tranquillement à la Sicap Liberté 1, l'esprit tourmenté par cette rencontre spéciale. Un week-end, une de ses cousines vient lui rendre visite pour une partie de jeu entre jeunes filles. Mais Fatoumata n'est déjà plus cette jeune fille enjouée et innocente. Aux jeux de son âge, elle préfère d'autres hobbies et entraîne sa cousine dans sa chambre. Sa voix s'enroue de nouveau, ses yeux s'assombrissent et elle débite de plus belle: «Quand je me suis retrouvée toute seule avec ma cousine, j'ai sorti le sable que j'ai étalé sur une feuille de journal et j'ai commencé à jouer à la voyante.
J'étais comme poussée par une force incroyable. Il me suffisait de poser ma main droite sur le sable pour ressentir des choses inexplicables. Je lisais à ma cousine son destin, je lui prédisais son avenir, lui parlait de son passé. En fait, le génie me dictait ce que je devais dire, sa voix était très forte et j'étais la seule à l'entendre. Depuis ce jour, le génie fait partie de moi et m'apparaît souvent en rêve, sous la forme d'une tête de serpent ou de singe.» «Depuis, se désespère, contrit le vieux Pakoye Camara, 79 ans, notre maison prend feu sans raison apparente. Ce qui est triste, c'est que c'est en rapport avec le sable ramené à la maison par Fatoumata. C'est incroyable, ce qui est arrivé à ma fille !»
Le père de Fatoumata, est quasiment dans tous ses états au milieu de la cour de sa maison de Liberté 1. Pakoye ne désarme pas contre ce qui arrive à sa benjamine et cherche lui aussi des explications : «Quand elle est revenue de Yeumbeul avec ce sable bizarre, elle disait qu'elle pouvait faire des miracles avec. Au début, personne n'y croyait à la maison et on se disait juste que c'étaient des gamineries et qu'elle en sortirait un jour. Mais voilà, tout a changé depuis.»
Très attentive à la version de son père, Fatoumata ne se démonte pas pourtant, impassible dans son coin. Elle enfourche encore le cheval de son malheur et replonge dans son cauchemar : «Une fois, ma maman m'avait envoyée à la boutique du coin vers 19 h encore. A l'angle de la maison, un jeune homme qui se déplaçait avec une seule jambe m'est apparu. Sur le coup, j'ai eu si peur que je n'ai pas bougé. Il m'a dit : «Rentre vite chez toi, il y a le feu là-bas.» Arrivée à la maison, je suis montée sur la terrasse et j'ai tout raconté à mon grand-frère et quand on est redescendu dans ma chambre, il y avait effectivement le feu.»
Dans la maison de Liberté 1, les murs calcinés sont peinturés de traces noires qui donnent à la bâtisse l'image d'une demeure abandonnée. Awa Camara, sœur de Fatoumata : «Cela fait d'ailleurs quelques mois que nous avons tous déménagé de cette maison. Ce n'était plus possible car la maison prend feu à tout moment. C'est lié à Fatoumata et aucune pièce de la maison n'a été épargnée.» Presque abandonnée, la maison des Camara, demeure sans âme, où s'éparpillent des meubles calcinés et autres objets sans valeur qui témoignent de l'étendue des dégâts. La famille, divisée par ce drame, a été obligée de déménager et de se disperser dans le quartier.
Le vieux Fakoye: «Je suis très fatigué et j'ai 79 ans. Je dors par terre et je n'ai plus de matelas, je n'ai plus rien, même pas une natte. Tous mes fils et filles se sont dispersés, j'habite dans la cité depuis le 11 août 1958, je suis malheureux de me voir ne plus avoir un toit avec ma famille. C'est triste.» Fatoumata n'a même plus ses yeux pour pleurer : «Après le premier feu à la maison, je n'étais plus la même.
Le jeune homme à la forme bizarre que j'avais rencontré, avait fini par pénétrer mon corps et il s'était transformé en une forte chaleur. Je grelottais beaucoup et j'ai fini par plonger dans un profond sommeil. Quand je me suis réveillée trois jours plus tard, toute la maison avait brûlé. Je n'y comprenais rien alors que tous les membre de ma famille me répétaient que j'étais la cause de l'incendie.
En fait, à ce moment, il semble que le mauvais génie avait pris possession du corps Fatoumata et se déplaçait elle dans la maison. Sa maman : «Fatoumata nous répétait qu'elle avait dormi pendant ces trois jours et qu'elle ne se souvenait de rien du tout. Mais pendant ce moment, elle était bien avec nous, consciente et sur pied et partout où elle passait, il y avait du feu. Mais je la crois quand elle dit que le diable a pénétré son corps et qu'il agi avec elle.»
Pendant ces moments d’état second où Fatoumata était plongée dans son sommeil, sa famille fait recours à des guérisseurs pour des incantations et leur remet le fameux sable. Le malheur de la famille Camara ne s'estompe pas. Seule aussi dans son cauchemar, Fatoumata combat avec cette force invisible : «Il m'est apparu une première fois en rêve pour me demander de lui rendre le sable. Depuis lors, il me réveille tous les soirs et m'exige de changer de pièce. Je fais alors beaucoup de bruits durant la nuit et mes parents le prennent pour des caprices. Je fais tout le temps des cauchemars...»
Le plus inquiétant dans cette incroyable histoire est que Fatoumata a l'impression que le mauvais génie (djin, en wolof) est en colère contre elle et qu'il le met en conflit avec ses proches : «Une fois, j'ai trouvé mon grand-frère avec un portable et il m'a dit que c'était un cadeau de mon père. J'étais un peu jalouse parce que je ne pouvais pas en avoir. Mais une fois dans ma chambre, le génie m'est apparu en disant : «Ce n'est pas la peine de te fâcher, je ferais en sorte que le téléphone te revienne.» Le soir même, mon père a repris le téléphone à mon grand frère et me l'a remis. Mais cela a amené des histoires et mon père a repris le téléphone. Et sur ce coup, le génie a dit : «Si c'est comme ça, je vais brûler le téléphone.» Aussitôt après, le téléphone et la chambre de mon frère ont brûlé.»
A partir de ce moment la vie de Fatoumata se marie à celle de ce génie qui régente son quotidien, lui intime l'ordre de ne plus porter des habits courts, des tenues sexy. Elle poursuit : «Il m'a dit alors de porter une petite chaîne autour de ma cheville et je l'ai fait. Une fois, je lui ai dit que je voulais le voir et il m'a répondu : «Tu m'as déjà vu, ça suffit !» Une autre fois, il m'a forcée à laisser tomber mes amies et quand je m'ennuyais toute seule, il me disait encore : «C'est mieux comme ça.» Il ne cessait pas de m'interdire de répéter nos conversations à mon entourage, si non j'aurais une vie courte. Je lui ai alors dit de m'offrir des cauris pour que je puisse m'exercer à la voyance comme mes grandes soeurs. Il m'a juré qu'il allait m'aider et que je serais plus forte et célèbre que mes sœurs.»
Attentive au monologue de sa sœur, Awa Camara bondit de sa chaise : «Mais c'est extraordinaire que tu ne m'ais pas dit que tu avais demandé de telles choses à ce génie. Je n'arrive pas à y croire !» La maman calme les esprits et insiste sur le fait que «la maison, sans doute hantée, prend toujours feu».
Les pompiers qui, depuis le début de l'histoire en janvier dernier, se sont relayés pour éteindre les feux ont perdu aujourd'hui toute force contre ces incendies d'une autre nature. Le colonel Dièye des Sapeurs Pompiers, ancien commandant de la caserne de Dieuppeul : «Cela fait une bonne vingtaine de fois que nous sommes appelés pour éteindre des feux dans la maison des Camara. A la fin, j'avais fini par mettre vingt de mes hommes sur le coup et ils se relayaient nuit et jour. Finalement, la famille a fini par déménager. Mais je ne connais pas la nature du feu, eux disent simplement que c'est le fait d'un mauvais génie. C'est à la police de mener l'enquête (sic).» Le père Fakoye a déjà vu les flics rappliquer et il s'en est titré avec de l'urticaire: «La police avait ouvert une enquête, mais ils m'ont soupçonné de brûler exprès ma propre maison. C'est ridicule !»
Au plus grave de la mésaventure de leur fille, la famille Camara avait décidé d'envoyer Fatoumata à Pout chez un guérisseur qui s'est occupé d'elle et l'a traitée avec de la médecine noire. La petite Fatoumata y restera presque un mois, même si elle était loin de se douter que le génie ne le quitterait pas de sitôt. Elle se souvient : «Quand je suis revenue de Pout, il m'a laissée en paix juste quelques jours avant de ressurgir. Il me parle toujours, mais les gens autour de moi ne l'entendent pas. Parfois, il envoûte ma poupée qui dialogue avec moi. Ma mère me surprend parfois et me dit que je deviens folle. Il me recommande parfois de sortir de l'aumône et m'accompagne le plus souvent le matin à l'école. Il m'avait même offert deux bagues en or comme cadeau.»
Aujourd'hui, toute cette sombre affaire turlupine et agace Fatoumata qui ne demande qu'à se débarrasser de cette présence encombrante. Mais à quel prix ? «Il est prêt à me laisser tranquille, souffle Fatoumata, mais à une seule faveur : que je lui donne la vie de mon père parce qu'il a besoin de son sang.» La grande sœur, Awa Camara, se prend aussitôt les mains dans la tête : «Oh, mon Dieu ! Tu ne m'avais pas dit ça aussi Fatoumata. Ce f...de génie nous a pris notre maison, nos meubles, nos chambres, toutes nos affaires et nous n'avons plus où dormir maintenant. On traîne dans le quartier. Et maintenant, il veut nous arracher notre père.»
La maman de Fatoumata, elle, reste impassible : «Il faut qu'on guérisse ma fille, parce que ce sont des choses qui arrivent, cela fait partie de nos réalités.» Au milieu de cette brusque effervescence, Fatoumata fond en larmes, plus confuse que jamais et déjà noire d'idées : «J'aimerais tellement avoir une longue vie et avoir aussi des enfants mais je sais que mon rêve ne s'exaucera jamais. Chaque fois, je compte les jours qui me restent avant de quitter ce monde», pleure-t-elle. Seule dans sa galère intérieure, dans son monde maléfique. Etrangement démunie au fond de cette maison calcinée, hantée, au milieu d'une famille divisée par une histoire diabolique. Comble de malheur !
Elimane Kane/Abdou Latif Mansaray - Weekend Magazine
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