Gastronomie: Rougui Dia, chef chez Petrossian

Fille d'émigrés sénégalais en France, elle est chef cuisinier dans un des restaurants les plus chics dont elle agrémente les mets d'épices africaines.

Près de La Tour Maubourg brillant de mille feux, pas loin du Quai d'Orsay, du musée du Quai Branly et de la Tour Eiffel, au bout du Pont des Invalides qui enjambe la Seine, dans le viIle arrondissement de Paris, le siège du groupe Petrossian abrite le célèbre restaurant « 144 » auquel Rougui Dia apporte, tous les jours, sa touche d'exotisme. Elle y concocte une cuisine métissée, créative et ouverte sur le monde. A 31 ans, elle affiche personnalité et talent. Surnommée « Perle noire de Petrossian », ou encore « Perle noire du caviar », elle continue de faire l'évènement gastronomique à Paris.

Issue d'une famille Peule de 7 enfants (dont 5 filles) originaire du village de Wodobéré (région de Matam) dans le Fouta, à près de 2 km de Thiemping (village d'origine du footballeur Mamadou Niang de l'Olympique de Marseille), Rougui Dia n'aimait pourtant pas faire la cuisine. Les conseils de son père, mécanicien arrivé en France. dans les années 60, et de son cordon bleu de mère, Aïssata Dia, n'y feront rien. Ce, jusqu'à ses 16 ans. Cependant, un jour, alors qu'elle n'en avait que 13, elle fut obligée de préparer du «lathiri e hako» (couscous à la sauce de feuilles). Coup d'essai, coup de maître!

Dans le milieu de la gastronomie réputé machiste, elle suit un parcours du combattant qui doit beaucoup à sa ténacité. Dirigeant «une équipe de rugbymen», comme dit un de ses collègues, « elle sait, calme et douce, se faire écouter et respecter ». Celle qui voulait devenir couturière débute, après bien des péripéties, dans une boulangerie-pâtisserie en 1994. Elle fait ainsi un saut dans un monde d'hommes. On lui « met » la pression mais, grâce aux encouragements de ses parents, elle tient bon et décide de passer un CAP, car elle tient à acquérir un diplôme. Elle entre dans une école de formation et décroche, à 18 ans, deux CAP : en cuisine et en salle. Encouragée par ses formateurs, elle passe le BEP dans une école hôtelière.

A ce moment précis, elle se met à rêver de l'armée. « Cela me plaisait. Le côté physique; lutter; bien se tenir; la discipline, la hiérarchie, le sport... », dit-elle. Mais c'était sans compter avec ses enseignants et sa famille qui voulaient qu'elle passât d'abord le baccalauréat professionnel. Elle le réussit en deux ans.

En 1998, elle rencontre le cuisinier Sébastien Faré qui, séduit par son caractère, l'embauche comme commis. « C'est lui qui m'a formée. Je l'admire pour sa personnalité », affirme la princesse peule. C'est tout naturellement que Faré, en prenant, en 2001, la direction des cuisines de Petrossian, l'y amène avec lui.

C'est d'ailleurs lui qu'elle remplace après son départ; elle ne voulait pas. Mais Armen Petrossian, le chef de la maison spécialisée dans le caviar, qui a décidé de tout miser sur la jeune africaine, parvint à la convaincre, - rompant ainsi avec la vision traditionnelle, selon laquelle le chef est toujours un homme. « Je lui ai proposé de fortes responsabilités: à elle de séduire davantage nos clients tout en respectant notre histoire et nos traditions culinaires russo arméniennes. Elle a la jeunesse et la pertinence du regard féminin », indique-t-il.

Cela devient alors pour elle un pari à relever. « Je souhaite rendre le restaurant accessible au plus grand nombre », dit-elle. Elle réinvente donc la cuisine aux consonances caucasiennes en piochant dans ses racines. « Ma cuisine est une histoire d'intégration, car je métisse les mets avec mes goûts et ma culture », explique-t -elle.

D'ailleurs, Armen Petrossian trouve des similitudes entre les traditions culinaires caucasiennes et sénégalaises. Depuis 1920, les Petrossian, Arméniens ayant fui la révolution bolchevique, se sont spécialisés dans le commerce du caviar à Paris. Ils importent en France le saumon, le poisson fumé, etc.

Vêtue de sa veste blanche et de sa toque semblable aux turbans des Haoussa, ces nomades dont elle incarne d'ailleurs la gestuelle, Rougui Dia rêve d'ouvrir son propre restaurant. « Plus tard, je me verrai bien ouvrir un lieu où je continuerai à pratiquer une cuisine métissée ». Pour le moment, elle peut se réjouir qu'en France, notamment, «tous les Africains sont fiers de moi! »

Source: Liberation

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