Le Paradoxe Dakarois: Quand l'argent sale côtoie la misère

Visite guidée…
Nous avions déjà pris toutes les dispositions pour nous rendre dans un endroit assez particulier de la capitale, situé presque au centre-ville. Ayant déjà pris contact avec un homme d'une quarantaine d'années que la famille d'un de nos compagnons connaît bien, nous n'avons pas rencontré trop de problèmes pour nous faufiler dans les coins et recoins dudit quartier, d'ailleurs assez populeux. Notre guide ayant été pendant plus de trois ans veilleur de nuit dans la maison de l'un parmi nous, qui avions formé un groupe de trois personnes.

Après de brèves présentations, et déjà mis au parfum sur les raisons de notre visite, c'est sans détour qu'il déclara aussitôt, « nous, nous ne sommes pas considérés comme des citoyens. Nous voyons ceux qui sont censés nous redonner espoir, en nous mettant dans de meilleures conditions de vie et d'existence que s'il y a élections. Parce que, nous sommes des électeurs potentiels.

Et lorsqu'ils se déplacent dans nos quartiers, ils sont toujours bien accompagnés par des gorilles, et se refusent même de boire une seule goutte d'eau que nous leur offrons par hospitalité ; car, après tout, nous sommes aussi des Sénégalais », poursuit-il d'un ton indigné. « Ici, c'est un véritable ghetto, et sur dix jeunes, rares sont ceux qui s'en sortent véritablement. Le reste est versé dans l'usage de la drogue, et ce sont eux assez souvent que vous rencontrez en ville, un mouchoir aspergé de diluant collé à la bouche. Et pourtant, la quasi-totalité d'entre eux n'a pas encore vingt ans », poursuit notre interlocuteur. « Les jeunes filles, si elles ne sont mariées pour quitter ces coins, deviennent ménagères ou se prostituent », informe-t-il à nouveau. Poursuivant notre périple dans ce quartier dont nous préférons taire le nom par respect à ses habitants, nous restons toujours collé à notre interlocuteur qui nous sert aussi de guide.

Car, tel qu'il nous l'a si bien déclaré, « ce n'est pas prudent pour des inconnus de s'y aventurer seul ». Bien connu et respecté, il nous fit faire le tour du quartier, afin de nous montrer les conditions dans lesquelles vivent les populations de la zone qui l'a vu naître et grandir. Le constat est le même. Partout, c'est le même décor. Pauvreté et creux de la précarité absolue qui y règne, se lisent encore dans le creux des regards de ses jeunes et femmes, qui ne demandent que d'être mis dans des meilleures conditions de vie et d'existence. Après nous avoir présenté un vieillard qui, apparemment a déjà fêté ses 70 ans, il se mit à ses côtés, et lui expliqua le pourquoi de notre visite. Aussitôt, changea-t-il de position en se mettant face à nous. « Vous au moins, vous vous souciez de nous. Tout ce que je peux vous dire, c'est que nous sommes fatigués, et je me demande si le Président de la République sait qu'en plein cœur de la capitale, des habitations pareilles y existent où les populations peuvent rester des jours et des mois sans respecter les trois repas quotidiens.

Moi, malgré mon âge, je me rends toujours en ville à la recherche de bouteilles et autres poubelles que je revends à la Salle des ventes de l'avenue Lamine Guèye », conte le vieillard avec un ton dépité. Aussi, entre ses propos, une femme le coupera pour crier, « bien sûr que Wade le sait, puisqu'il connaît toutes les réalités de la ville pour avoir attendu très longtemps avant de devenir Président. Nous n'avons même pas d'eau. L'électricité n'en parlons pas ». Avant de lancer, « thiiip » ! Après cette petite étape, c'est à peine que nous sortions pour tomber nez à nez avec un adulte complètement ivre. Et notre interlocuteur de dire, « on a fait la même classe. Un gosse qui était l'un des plus intelligent dans notre groupe. Malheureusement, faute de moyens, tout comme moi, il a arrêté très tôt l'école. Maintenant, à part l'alcool, il est devenu maçon ».

Toujours continuant à discuter avec notre compagnon d'un jour dans un endroit pas comme les autres, il revient à la charge pour dire, « si réellement vous voulez savoir les conditions dans lesquelles nous vivons, hé bien, passez le soir, juste après vingt heures. Et vous verrez réellement ce qui se passe en dehors des bagarres où les protagonistes sont armés jusqu'aux dents ». Et sans le blesser, nous lui répondons par, « sûr que nous le ferons. Mais, prochainement ». Sourire aux lèvres, il dira, « je sens que vous avez un peu peur, mais ne vous en faites pas, on ne touche pas aux gens qui sont avec moi ». Occasion pour nous, de lui demander le pourquoi de cette affirmation. Et sans tourner autour du pot, il criera : « Euh ! Ici, tout le monde me connaît et me respecte, même les plus téméraires ».

Aussi, à la fin de notre visite, et pour beaucoup plus de sécurité, il nous raccompagna jusqu'à la sortie, et sur plusieurs mètres, avant que nous ne prenions le premier taxi qui avait fini de nous klaxonner pour nous signaler qu'il était vide. Nous nous quittâmes par ces mots de notre interlocuteur, « à la prochaine, mais sachez que nous vivons dans une cuvette, et il faut que le bon Dieu vous accompagne pour avoir une espérance de vie qui dépasse la quarantaine ». Et là, cap vers d'autres quartiers.

L'interface…
Moins populeux, pourtant ces nombreux quartiers longtemps considérés comme semi-résidentiels ont fini de se bidonvilliser. Le décor un peu changeant par rapport à notre premier périple. Mais, c'est également la précarité. Jeunes sans emplois, alcool, mais également prostitution en cachette. Le chanvre indien bien partagé entre jeunes adolescents. Même si les habitations répondent aux normes d'habitation, ce n'est plus la période du « thiébou dieune » bien huilé accompagné de riches poissons comme le « thiof ». Ce n'est plus le temps des grands cadeaux à l'occasion des fêtes de fin d'année. Ce n'est plus la grande fréquentation dans les écoles privées réputées meilleures pour une bonne formation. Les pères de famille retraités ou décédés, les jeunes restant et demeurant sans emploi, rêvent d'Europe ou des États-Unis. Quelques rares familles vivent encore assez bien, mais se comptent sur le bout des doigts.

Contraste arrogant ou moteur de l'argent sale
D'étapes en étapes, l'on croirait que Dakar est divisé en trois zones. La première apparaît être le socle de la pauvreté absolue, la seconde comme celle vivant dans une certaine humilité avec de meilleures chances de s'en sortir. La troisième dévoile le contraste arrogant d'une tête mal coiffée, exclusivement réservé aux nantis. Il est presque 11 heures, lorsque nous arrivons à point nommé dans un quartier résidentiel, mais seulement habité par des millionnaires. Là encore, nous avions rendez-vous avec un homme qui apparemment connaît mieux que quiconque l'endroit pour y avoir toujours été. « Je connais les moindres coins et recoins de ce quartier, et j'ai habité plusieurs maisons au moment où elles étaient encore en chantier », affirme-t-il. « Mais, pour vous dire une chose, à part des Sénégalais qui sont à l'étranger, ou des étrangers résidant au Sénégal, les autres propriétaires sont bien des Sénégalais qui, peut-être, ne sont jamais sortis du pays. Et même si c'est le cas, c'est quand ils sont entrés dans certains créneaux », poursuit-il. Lesquels ?

Demandons-nous comme question. Hésitant un peu, il dira, « mais entre nous, on sait que plusieurs personnes s'enrichissent dans le dos du peuple. Je peux vous montrer plusieurs maisons hyper chics, qui appartiennent à des hommes ou femmes que l'on voit tous les jours à la télé. Des personnes qui te minimisent, alors qu'il y a quelques années, ils n'étaient rien dans ce pays ». Qui, alors ? « On m'avait dit que vous vouliez autre chose, mais pas connaître les noms des propriétaires de maisons ». Aussi, poursuit-il encore, « en tout cas, l'Etat doit revoir beaucoup de choses, car, pour certains je peux jurer qu'ils font ou sont des trafiquants. En quoi, je ne peux le dire concrètement, mais encore une fois, des maisons sont également louées par des jeunes de rien du tout ou des étrangers qui roulent avec des voitures qui coûtent des centaines de millions. Pourtant, ils ne travaillent dans aucun organisme.

Toute la journée, ils font des va-et-vient ou se terrent chez eux pour ne sortir que la nuit ». Continuant à échanger avec notre interlocuteur, qui est bien imprégné de plusieurs choses se passant dans ce quartier, il dira encore, « la construction de certaines maisons ne dépassent pas une année. Ce ne sont pas des maisons de quelques millions. Il faut casquer dans les deux cent millions ou plus. Certaines autorités ont deux à trois maisons, ou disposent de quelques terrains. Et le terrain, c'est au moins 10.000 francs le mètre carré ». Un autre clamera haut et fort, « on sait ce qui se passe, mais personne n'ose parler. Si tu le fais sans aucune preuve, tu es bon pour la prison. Mais, en tout cas, l'argent qui sert à construire toutes ces maisons et immeubles n'est pas de l'argent propre. C'est du vol, ou autre chose, mais encore une fois, ce sont des sous impropres, même si d'autres ont travaillé dur pour avoir tout cela ».

En tout état de cause, de nombreux quartiers, cités et immeubles modernes émergent un peu partout dans la capitale. Participant à redonner à la capitale un visage beaucoup plus significatif, en termes de modernité, d'autres coins et recoins sont toujours laissés pour contre par les autorités. Ces populations bien localisées au cœur de la ville et dans les quartiers périphériques ne reçoivent de promesses que lors de différentes campagnes préparant à la collecte de suffrages. Et même si plusieurs personnes refusent d'aborder le problème de l'argent sale, elles sont d'avis que les disparités sociales sont une réalité à travers la capitale sénégalaise. Une seule partie continuant à s'enrichir sur le dos de ceux-là qui l'ont portée au pouvoir. Dans les collectivités locales, l'heure est à la boulimie foncière et à la « cantinisation » des établissements d'enseignement primaire. Presque pas de politiques mis sur orbite, allant dans le sens de création d'emplois.

Et même si Dakar offre un contraste aussi arrogant de disparités sociales, des politiques de prise en charge sociale seront les bienvenues pour aider de nombreuses familles à sortir de la précarité et des difficultés de la vie de tous les jours. Aussi, se rappeler qu'à Dakar ou ailleurs au Sénégal, existent toujours les oubliés sociaux, les marginaux… À côté des belles voitures, belles maisons avec piscine, les bidonvilles demeurent des voisins presque…dignes. La banlieue, n'en parlons pas…

Source: L'Office

Aucun commentaire:

 
{http://www.leboytown.blogspot.com/}.