Jean-Baptiste Onana décortique la question des Noirs en France dans «Sois Nègre et tais-toi!»

« Quelle place échoit à la femme et à l’homme noir dans la société française contemporaine ? Quel regard portent sur eux les membres des autres communautés nationales ? Comment s’y prennent-ils pour exister dans un environnement politique, social et économique défavorable, voire hostile ? » Telles sont les questions que Jean-Baptiste Onana, enseignant universitaire en géopolitique, traite dans son essai « Sois Nègre et tais-toi ! » paru aux Editions du Temps.


Jean-Baptiste Onana fait un triste constat : il y a comme une hiérarchie des races qui place le Noir au plus bas de l’échelle. « c’est certainement la créature la plus discriminée et la plus honnie de l’espèce humaine », déclare-t-il, dans son dernier ouvrage Sois nègre et tais-toi !, paru au printemps dernier. Et comment le nier, lorsque pendant de longues décennies a sévi la ségrégation raciale, contre laquelle ont combattu les Martin Luther King et Rosa Park aux Etats-Unis, les Nelson Mandela en Afrique du Sud ?

Lorsque, dans les années 80, une femme ou un homme noir est interpellé par le terme « maïmouna » en Bulgarie, qui veut dire « singe» dans la langue de ce pays, pour ne citer que ces exemples?

Et en France donc, pays qui se définit comme celui où l’on respecte les droits de l’homme, les choses sont-elles différentes ? J.B. Onana pense que la France « pêche par excès d’outrecuidance en s’érigeant en modèle de tolérance raciale quand, sur son sol, il ne fait pas toujours bon être bronzé, notamment lorsqu’on a affaire à la police ou à la justice, ou qu’on est à la recherche d’un logement, d’un emploi ou d’une école pour son enfant. » Dans un style qui rend le livre accessible à tous, l’auteur de Sois Nègre et tais-toi décortique la question des Noirs en France, expliquant les causes de leur discrimination, déconstruisant les préjugés qui pèsent sur eux, étayant son argumentation par de nombreux exemples et témoignages.

Les Noirs eux-mêmes ne sont pas étrangers à leur ‘‘dévalorisation’’ et J.B. Onana les interpelle sévèrement. Leurs comportements montrent qu’ils ont accepté et reprennent à leur compte le mépris qui les frappe. « Jamais une race ne s’est autant reniée, abâtardie et prostituée culturellement que la nôtre. Et jamais sans doute les Négro-africains en particulier n’ont autant eu honte d’être noirs qu’en ces temps d’afropessimisme exacerbé et de mépris général pour l’Afrique », constate-t-il. Or il importe que les Noirs, qu’ils viennent d’Afrique ou des Caraïbes, se réveillent de leur léthargie pour faire changer les choses, et surtout qu’ils quittent les « masques blancs » dont ils s’affublent, car ce n’est pas ainsi qu’ils parviendront à être épanouis. La voix de Frantz Fanon ponctue régulièrement les chapitres de Sois Nègre et tais-toi ! J.B. Onana a bien voulu répondre à nos questions.

Vous prenez à bras-le-corps dans votre livre la question de la présence des Noirs en France, qu’est-ce qui vous révolte le plus ?
Jean-Baptiste Onana : En préliminaire, je voudrais dire que je ne me considère pas comme un révolté stricto sensu. Il se trouve simplement que je ne m’accommode pas de l’exclusion et de la marginalisation d’un nombre croissant de Noirs sous des prétextes fallacieux divers. Subsidiairement, je m’insurge contre le discours convenu et culpabilisant qui voudrait accréditer l’idée que si les Noirs sont placés tout en bas de l’échelle sociale, c’est forcément et uniquement de leur faute. C’est parce qu’ils seraient moins méritants que les Blancs, ou refuseraient de s’intégrer en se plaçant délibérément en marge de la société. En réalité, les efforts d’intégration de nombre de Noirs français ou étrangers sont découragés par des pratiques discriminatoires souterraines ou avérées : refus d’embauche, d’attribution d’un logement, d’inscription d’enfants à l’école, pour ne citer que les discriminations les plus attentatoires à leur dignité. Vous en connaissez vous, beaucoup de Français qui vivent de petits boulots tout en étant diplômé Bac plus 5 ou plus 10 ? Moi pas.

A votre avis, lesquels sont les plus à blâmer, entre ceux qui « clament haut et fort leur solidarité en public, mais oeuvrent souterrainement pour le maintien du statu quo » et les Noirs eux-mêmes qui subissent sans réagir et participent même à leur discrimination ?
Jean-Baptiste Onana : J’entends dénoncer avec véhémence ceux qui, tant dans les sphères politiques que la société civile, faussent les règles du jeu social en instaurant une préférence raciale innomée en faveur des Français qui déclinent la couleur locale. Autrement dit sont blancs dans un pays qui, au mieux, a honte de ses Noirs, et au pire les renie. Tout autant, j’en appelle à la conscience des Noirs et assimilés pour ne pas subir docilement le destin misérabiliste que veulent leur imposer les ayatollahs d’un certain puritanisme racial. Il est urgent qu’ils se prennent en charge, et développent des solidarités communautaires à l’instar d’autres populations établies sur le sol français.

Pensez-vous réellement que les choses puissent changer un jour ?
Jean-Baptiste Onana : La sagesse africaine dit que l’eau coule nécessairement de la montagne vers la rivière. Même si les obstacles restent nombreux et semblent insurmontables en l’état actuel des choses, ils ne sont guère rédhibitoires. Je garde donc l’espoir qu’un jour, les Noirs de ce pays trouvent leur place dans une société qui, à ce jour, leur donne rarement leur chance. Au mérite, car ils sont loin d’être moins intelligents, moins travailleurs et moins performants que ceux qui tirent outrageusement profit de leur peau blanche pour gravir les marches de la hiérarchie sociale.

Votre livre s’appuie sur de nombreux exemples et témoignages. Vous citez par exemple, dans le sous-chapitre « singeries nègres et mystifications blanches », page 113, cette intellectuelle et romancière africaine qui déclarait à un journaliste blanc : « jamais je n’épouserai un Africain… Ils sont violents, infidèles, fainéants et jaloux. De mauvais maris en un mot. » Que dire de ce reniement de soi ?
Jean-Baptiste Onana : Pris dans la nasse de la détresse matérielle, morale et identitaire, beaucoup trop de Noirs pensent que leur salut passe nécessairement par le rejet pur et simple de leur culture d’origine. Tel n’est pas mon avis. On peut parfaitement s’intégrer dans la société d’accueil et s’y épanouir tout en restant fidèle aux fondements de son essence nègre et africaine. Voyez les Juifs de France. Ils pratiquent avec ferveur leur religion et des coutumes millénaires, que d’aucuns jugeraient archaïques et démodées, sans que cela nuise à leur intégration. Voyez la communauté asiatique. Ses membres vivent dans une quasi-autarcie culturelle, économique et intellectuelle, mais tout le monde s’accorde à dire qu’ils sont plutôt bien intégrés. Enfin, quand l’élite et l’intelligentsia noires prêtent complaisamment le flanc à la molestation intellectuelle de leurs congénères plutôt que de s’en solidariser, je m’émeus et m’interroge.

Le texte qui résume le livre en quatrième de couverture se termine ainsi : « Et si l’heure du sursaut salutaire avait sonné pour ceux qui, malgré les compétences avérées de leurs élites, n’ont jamais de place nulle part ! » Qu’est-ce qui, pour vous, constitue les signes de ce ‘‘sursaut salutaire’’ ?
Jean-Baptiste Onana : Quelques initiatives communautaires ou intercommunautaires récentes, telle la création du CRAN (Conseil représentatif des associations noires), sont annonciatrices d’une auto-conscientisation résolument en marche. Les Noirs vont de plus en plus les uns à la rencontre des autres. Ils débattent de leurs problèmes sur des forums de discussion Internet, les radios ou les chaînes de télévision communautaires, organisent des colloques, n’hésitent plus à descendre dans la rue quand leurs intérêts majeurs sont en jeu ou transgressés.

Quel serait le secret de la réussite d’un Noir en France, pour ne pas dire en Europe ?
Jean-Baptiste Onana : La réussite peut revêtir des formes diverses selon le contexte social, politique et économique considéré, et les ambitions personnelles d’un individu. De ce point de vue, il n’y a pas de petites et de grandes réussites. Toutes concourent à l’épanouissement de la femme et de l’homme noirs, dans leur quête légitime de reconnaissance et de dignité.

Pour ceux qui n’auront peut-être pas l’occasion de lire votre livre, mais qui ne manquent pas de faire un détour sur Internet, que pourriez-vous leur dire ? Quel message pouvez-vous adresser à tous les Noirs de France et d’ailleurs ?
Jean-Baptiste Onana : Mon message est simple. Nous, Noirs de France et d’ailleurs, devons devenir les acteurs de notre propre développement social et économique. Nous aurions tort de compter sur les autres pour nous y aider, car notre mieux-être social et économique n’est pas forcément leur intérêt. Face à l’adversité ambiante, la solidarité doit être le maître mot.

source: Afrik.com

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