Alerte !

Ce qui s’est passé hier ne préfigure certainement pas une insurrection populaire, encore moins une révolution dans le pays. Nous en convenons tous. Cependant, cette révolte de jeunes marchands ambulants, victimes d’une politique d’un gouvernement à la remorque d’un chef de l’exécutif exerçant essentiellement son magistère sous la gouverne des humeurs et des envies du moment, traduit un problème profond qui semble être, depuis plus de sept ans maintenant, la marque déposée du système en place.

Quand l’improvisation, le pilotage à vue et le culte du coup spectaculaire qui étonne, sont érigés en mode de gouvernement, le citoyen est naturellement placé, et en permanence, dans une posture d’insécurité qui le hante à tout instant. Aussi, tente-t-il parfois, par instinct de survie d’en échapper. Il peut s’y prendre par des moyens violents, dès lors qu’il a le sentiment d’être méprisé et réduit à moins que rien. On ne peut pas dire depuis hier, que la prise en charge de la révolte du peuple est devenue effective. Elle n’est certes pas amorcée. Seulement, ce qui s’est passé sous nos yeux à Dakar, peut être considéré comme une chaude alerte. Tout cela donne des idées et aiguise les appétits d’en découdre des citoyens qui plient encore sans pour autant rompre, sous le poids des difficultés quotidiennes et de la peine infligée par l’arrogance des méthodes de gouvernement.

La révolte (passagère ?) doit inciter à la réflexion, de la part des autorités qui ont en main la conduite des destinées de ce pays. C’est un impératif catégorique. Demain, il sera trop tard pour elles, mais aussi pour la stabilité de cette nation et de la sauvegarde durable de la paix civile. La mission de diriger un peuple est trop sérieuse. Cette mission qui est loin d’être une sinécure, comme le laissent pourtant malheureusement croire ceux qui en sont investis au Sénégal, est aussi assez exigeante dans sa conduite. Elle ne peut donc tolérer en toute circonstance et en permanence certaines approximations et désinvoltures érigées en politique d’Etat. Cette mission doit exclure des improvisations de l’acabit de celles que nous avons pu noter, lors de l’annonce de la décision relative à la constitution d’un fonds de solidarité nationale. Celle-ci a été très vite rangée dans les rayons bien fournis des velléités gouvernementales. Et pour cause !

On comprend mieux les choses, dès lors que l’on a entendu le premier ministre, Hadjibou Soumaré expliquer comment et pourquoi cette décision a été prise, par son gouvernement. Avec une obséquiosité à la limite touchante, mais suffisamment instructive, le premier ministre a lui-même dit sur les antennes de la télévision nationale, aussitôt la décision connue que : « le président de la république m’a appelé ce matin et m’a dit qu’il a beaucoup réfléchi dans la nuit, pour trouver une solution à la problématique de la solidarité nationale, face aux difficultés que rencontrent nos compatriotes. Il a ainsi décidé de la constitution d’un fonds national qui sera alimenté à partir d’une ponction opérée sur le salaire des fonctionnaires. Il m’a demandé de convoquer un Conseil interministériel pour annoncer au gouvernement la solution trouvée. Il a aussi décidé que les militants du Parti démocratique sénégalais iraient faire le tour du pays pour expliquer la mesure aux populations. »

Les syndicats ont réagi avec une détermination sans faille, en refusant les ponctions décidées. Le gouvernement, en sous-estimant pas la capacité de riposte forcée de ceux que le chef de l’Etat a pourtant assez bien nourris ces temps derniers par ses subventions généreuses a vite fait de ranger sa décision qui n’était en fait que le fruit de réflexions ou de rêves (qui sait ?) d’une seule et unique nuit, vite traduites en mesures gouvernementales. Les marchands ambulants, eux, n’ont pas de syndicats capables de menacer de leurs foudres le gouvernement. Ils sont cependant sûrs que la violence de la rue est une arme efficace pour faire rapporter illico presto, encore dans la précipitation et dans l’improvisation, une mesure d’administration pourtant juste et salutaire, prise cependant sans préparation, en l’absence de toute méthode cohérente et rationnelle. Sinon celle, si toutefois on peut l’appeler ainsi, inspirée par les humeurs diurnes du chef infaillible, souvent plus préoccupé et plus talentueux pour mener les batailles politiciennes que pour définir une vision politique d’ensemble et mettre en place une stratégie susceptible d’éloigner notre pays du sous-développement et de la pauvreté subséquente.

Cette pauvreté qui a jeté dans les rues de Dakar ces hordes de jeunes qui ont hier cassé tout sur leur passage. Ils veulent leur pitance. C’est la rue qui leur offre cela et à la sueur de leur front parce que personne ne leur donne aucune solution, sinon le chemin de l’exil, les étendues abyssales et périlleuses de l’océan qu’ils ont choisies, contrairement à leurs ancêtres, tout en sachant que le même sort les attend. Ils la veulent cette pitance ! N’en déplaisent aux autorités gouvernementales. N’en déplaisent également aux bailleurs de fonds et aux chefs d’entreprise qui ont exigé et obtenu du gouvernement le congédiement des vendeurs ambulants des grandes artères de la capitale. L’encombrement de Dakar, disent-ils, détourne les investisseurs de notre pays. Ils l’ont dit devant le chef de l’Etat.

Ce dernier en a éprouvé une réelle honte et en a piqué une colère monstre. Ceux qui l’ont dit ont sûrement raison. Ceux-là n’ont pas cependant eu le courage d’aller jusqu’au bout de leur logique en disant également au chef de l’Etat que notre pays est transformé en un vaste bazar national. Un souk dans lequel l’affairisme orchestré au plus haut sommet de l’Etat, concocté dans les officines gouvernementales, élaboré dans les directions et dans les présidences des nombreuses agences nationales, et enfin, initié dans les cabinets ministériels, pénalise plus la politique nationale sur l’investissement que ne saurait le faire l’encombrement des rues de Dakar par les marchands ambulants. La corruption qui sévit à une très grande échelle dans ce pays, empêche les investisseurs de venir. Pire, elle précipite le désinvestissement.

Et c’est cela que les jeunes qui ont pris hier possession des rues de Dakar, avec cette violence qui, loin d’être épidermique, est à la hauteur de la rage qui les habite, ont compris. Ils ne sont que la partie encore visible d’un iceberg national sous lequel gisent une misère noire et une exaspération devant une arrogance des dirigeants. Une autre saute d’humeur pourrait emporter tout sur son passage. Ces jeunes révoltés d’un jour ( ?) ont, enfin, compris que ceux qui les empêchent de gagner leur vie gagnent bien la leur. Et ils la gagnent avec des moyens encore plus déloyaux qui portent, sans aucun doute, plus de préjudices à cette nation que l’encombrement dénoncé.

Quelle différence établir entre l’attitude de la masse des jeunes désoeuvrés et celle de la minorité qui accapare toutes les ressources de la nation, avec la boulimie de l’arriviste, la vanité du nouveau riche et l’arrogance du parvenu. l’attitude ? Celle-ci résiderait-elle, peut-être, dans le fait que le confort des citoyens, celui des « nouveaux Dakarois », en particulier, n’est pas visiblement gêné par le comportement de ces délinquants au col blanc. Mais plutôt par celui de quelques banlieusards, qui n’ont pas d’autre choix que d’être « soutiens de familles » et qui montent en ville tous les matins pour gagner quelques sous qui serviront à faire survivre de pauvres hères dont l’agonie n’en finit pas de finir.

Abdoul Latif Coulibaly - Journaliste a Sud Communication

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