Les chantiers dits de Me Wade : Des gouffres à milliards

‘La réalisation de cette grande Université, qui fait partie des grands projets du président Wade, est aujourd’hui dans l’impasse. (…) Le chantier est en état de dégradation continue… Avec des poteaux de plus en plus rouillés, les hautes herbes qui ont fini d’envahir les lieux. Et pour finir, des cultivateurs qui ont transformé une bonne partie des lieux en champs de gombo et de niébé.’ Telle est la description sans appel que, dans son édition du 4 septembre 2007, L’Observateur a faite du chantier de l’Université du Futur africain (Ufa).

Ce quotidien me conforte dans l’attitude de méfiance que j’ai toujours eue vis-à-vis des grands chantiers dits de Me Wade. Je profite souvent de mes contributions pour attirer l’attention de mes compatriotes sur les gros risques que ces chantiers nous coûtent beaucoup d’argent pour presque rien. Je mets toujours en doute leur pertinence et leur priorité. Déjà, dans une contribution parue dans les quotidiens de la place, notamment dans Wal Fadjri du 7 septembre 2 006 (‘La valse des milliards de l’alternance’), je tirais la sonnette d’alarme.

J’y faisais remarquer notamment ce qui suit : ‘(…) La société civile (debout) et l’opposition doivent s’intéresser de plus près aux milliards des libéraux. Pour ne donner qu’un exemple, on ne parle presque plus de l’Université du Futur africain (Ufa) dont le coût initial déclaré était de 15 milliards de francs Cfa. C’est l’architecte fétiche de Me Wade qui avait lui-même annoncé ce coût, quand il présentait ce ‘grand projet’ de son champion à la télévision nationale [1].

Pourtant, lors de la dernière visite officielle au Sénégal du chef de l’Etat mauritanien Mohamed Ould Taya (aujourd’hui déchu), Me Wade lui a fait visiter le chantier de l’Ufa, près de Sébikotane. Selon Papa Mohamed Camara, le (déjà) directeur de cette université qui présentait le projet à l’hôte de Me Wade, la première phase avait démarré avec deux facultés et six pavillons, pour un coût de 14 milliards (déjà ?). De l’avis du même directeur, il était prévu la construction de 25 autres pavillons coûtant 600 millions de francs Cfa l’unité. Combien donc l’Ufa devra-t-elle finalement nous coûter, clé en main ? Quarante, cinquante, soixante milliards ou plus ?’

A cette question, Me Wade répond sans sourcilier, avec l’assurance qu’on lui connaît : ‘L’Ufa va coûter beaucoup d’argent, mais elle va générer beaucoup d’argent grâce aux activités agricoles qui seront menées dans le site et tout autour.’ Je poursuivais ma réflexion du 7 septembre 2 006 en ces termes : ‘Grâce aux activités agricoles ! Quelles activités agricoles qui vont générer tant d’argent ? Cette fameuse université est donc partie pour nous coûter trois à quatre fois le coût initial annoncé, comme nombre des projets du chef de l’Etat. Pour quels résultats ? Me Wade est certainement un éminent professeur, doublé d’un grand visionnaire, un homme multidimensionnel, comme se plaît à rappeler son armée de courtisans.

Nous n’aurons donc jamais le toupet de lui contester la pertinence de son ‘Ufa’. Nous n’avons certainement aucune compétence pour cela. Cependant, sa réalisation est, de notre humble avis, loin d’être prioritaire par rapport à bien d’autres attentes des populations et principalement des plus jeunes d’entre elles. Les précieuses dizaines de milliards qui vont être englouties dans cette université, et sans résultats significatifs garantis, pourraient servir, en attendant des jours meilleurs, à construire plus de centres de santé, plus de centres universitaires régionaux, plus de pavillons et de laboratoires dans les universités de Dakar et de Saint-Louis.

De même, leurs bibliothèques centrales et celles de leurs différentes facultés pourraient être notablement renforcées en manuels et en équipements divers. Même nos lycées et collèges, qui manquent presque de tout, malgré les 40 % du budget national consacrés à l’Education, pourraient en profiter largement (…).’

Voilà ce que j’écrivais au lendemain de la visite des chantiers de l’Ufa par Me Wade et son hôte mauritanien, après surtout l’aveu du directeur Camara qui reconnaissait que ‘son’ université, dont le quart des travaux n’était pas encore entamé, coûtait déjà 14 milliards, pour un coût initial total de 15.

L’Ecole sénégalaise est en train de traverser, du fait des initiatives politiciennes et inconsidérées de Me Wade, la crise qui pourrait être la plus grave de son histoire. L’Université de Dakar étouffe, avec ses 60 000 étudiants environ, pour 6 000 lits. Elle est incapable aujourd’hui de faire face à ses engagements, notamment vis-à-vis de ses nombreux vacataires.

Comment, dans ces conditions-là, Me Wade peut-il se permettre d’engloutir des dizaines de milliards de francs Cfa dans sa fameuse Université du Futur africain ?

L’Ufa, comme tous les ‘grands chantiers’ dits du chef de l’Etat, devraient davantage retenir notre attention. Combien de milliards vont-ils nous coûter pour presque rien ? Jusqu’à preuve du contraire, ils ont essentiellement trois fonctions : frapper l’imagination des Sénégalais les moins avertis, enrichir des entrepreneurs (les mêmes depuis le 1er avril 2000) et les plus en vue du régime libéral [2]. Il n’y a aucun doute que demain, quand l’Apix, l’Anoci, le Pcrpe, le ‘Cœur de ville’ de Kaolack, les pluies provoquées, les fameux motopompes et moteurs importés d’Inde par ce même Amar d’une certaine entreprise Tse, les Entrepôts du Sénégal au Mali (Ensema) [3], le Plan Jaxaay, le Plan Reva, etc, auront livré tous leurs secrets, nos compatriotes qui ont contribué à réélire Me Wade, regretteront sûrement et amèrement leur vote. Ce vote qui nous vaut la situation de malaise et d’incertitude que nous vivons depuis ce dimanche noir du 25 février 2007.

Mody NIANG e-mail : modyniang@arc.sn

[1] - C’est à un Journal télévisé de 20 h 30 qu’il nous a présenté la maquette. Il a alors terminé sa propagande par les mots suivants : ‘Le coût est de 15 milliards. L’entrepreneur entrera en contact avec le Pcrpe pour le début des travaux.’ Il était, à l’époque, dans toutes les sauces de la gouvernance libérale.

[2] - Après une longue absence inexpliquée d’un mois, Me Wade rentre et nous promet d’ouvrir un nouveau chantier, un chantier colossal : la construction de sept trains à grande vitesse (Tgv) d’ici à 2011. C’est extraordinaire ! C’est incroyable ! Les Sénégalaises et les Sénégalais ne s’inquiètent vraiment de rien. Ils ne se rappellent même pas que le président tunisien Habib Bourguiba a été destitué en octobre 1987, à l’âge de 84 ans. Pour incapacité physique, intellectuelle et psychique. Deux ans auparavant, les signes de sa sénilité se manifestaient déjà au grand jour.

[3] - Ces entrepôts risquent d’être l’un des plus gros scandales de la gouvernance libérale. Construits, semble-t-il, par le Cde, ils ont pour directeur général un certain Ibra Guissé, qui est né en 1935 (sic). Un ministre et deux directeurs généraux souhaitent sûrement que la lumière ne soit jamais faite sur ces nébuleux entrepôts. Ils en sortiraient difficilement indemnes.

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