Après Moustapha Niasse, Mame Madior Boye, Idrissa Seck, Macky Sall, Adjibou Soumaré donc ! Un bout d’homme vertical, le cou flottant désespérément dans une chemise XL, trop grande pour lui. Il n’y avait ni l’allure, ni la stature. Encore moins, comme auraient pu l’imaginer certains, les qualités de technocrate, de grand commis de l’Etat, qui auraient donné à l’ancien délégué au Budget un semblant de crédit.
C’est en ancien ministre délégué au Budget qu’Adjibou Soumaré s’est présenté aux députés, ce n’est pas en Premier ministre. Il n’a pas défendu une vision, il a défendu une gestion. Pendant toute la durée des interventions des députés, nous avons entendu des « monsieur le ministre », un lapsus qui en dit long sur l’idée que la représentation nationale se fait de cet homme.
Il faut le dire, Adjibou Soumaré n’a pas la hauteur nécessaire pour s’élever au rang d’un chef de gouvernement. Il n’a ni le prestige d’Abdou Diouf, ni la crédibilité de Moustapha Niasse, ni la précocité d’Idrissa Seck, encore moins la sérénité de Macky Sall. L’homme tient debout, dans son armure, mais la fonction s’est dérobée depuis longtemps. On la savait chancelante depuis que, dans cette forteresse bâtie en 1957, Abdoulaye Wade a appelé son Premier ministre Idrissa Seck, avec les accents d’un vieux guerrier qui s’est senti déshonoré, pour le remettre à sa place. C’est la faute au président de la République d’avoir aplati la fonction.
Depuis 2000, à l’exception notoire de Mame Madior Boye, tous les Premiers ministres ont été chassés, traqués, humiliés, pour qu’ils ne puissent jamais se relever ou penser un jour à une vengeance. Les services de renseignement sont allés le mois dernier fouiller dans les dossiers de Macky Sall, les propriétés qu’il possède à Dakar et sur la Petite côte, pour trouver des moyens de le tenir ou de le mettre un jour en prison.
Moustapha Niasse a subi le même traitement humiliant qui visait à le déposséder de sa propriété de Fann, après avoir orchestré la faillite de la compagnie Itoc. Tout ceci procède de la même intention de discréditer une fonction, pour consacrer un seul homme et sa démocrature familiale. Chaque meurtre est exécuté avec le même rituel. On l’accompagne d’une justification qui satisfait à peu près tout le monde : « un premier ministre est un fusible, et un fusible, c’est fait pour sauter ». On oublie que le premier à occuper ce poste y est resté 10 ans, sans interruption.
L’effacement d’Adjibou Soumaré est presque doctrinaire. C’est un commis de l’Etat, avait-il souligné à son chef, tête baissée. Il y a dans la puissance du verbe, l’affaissement d’une institution, qui ouvre la porte à toutes les servitudes justifiables. Mais c’est une des clés du génie d’Abdoulaye Wade. Il met toujours les gens à la place qu’ils ne méritent pas, pour qu’ils lui soient redevables. De tous ceux qui sont là depuis le début, Soumaré est sans doute le plus moelleux et le moins ambitieux. L’un de ses premiers actes significatifs a été annoncé, quitter la primature pour retourner au Building administratif. C’est certainement un acte de gestion salutaire. Les correspondances pouvaient prendre deux jours, entre le service du courrier et le cabinet du Premier ministre. Mais c’est un mauvais signal adressé au président de la République, qui l’a toujours souhaité, pour d’autres raisons.
L’effondrement de la fonction ne date pas de mardi. Il a commencé quand nous avons laissé le président de la République transformer un à un des pans entiers de l’économie nationale en agences rattachées à la présidence de la République. De tous, l’Anoci et l’Apix ont sans doute été les plus grands coups portés à l’économie nationale. Le président de la République est allé jusqu’à créer une cellule des technologies de l’information et de la communication. Son idée était de transférer la Division de l’automatisation du fichier à la présidence de la République, pour contrôler tous les marchés liés à la confection des pièces d’identité.
Avec le rattachement de l’Agence de régulation des télécommunications et des Postes à la présidence, il prend le contrôle de tous les marchés juteux liés aux licences de téléphone, à la numérisation abusive des cartes d’identité, et maintenant, des passeports, avec une main mise de son fils Karim et de son neveu Pape Sy.
Il faut arrêter tout de suite ceux qui colportent des idées contraires. Jamais, dans l’histoire de ce pays, un président de la République n’a appelé son fils, son neveu, ou une quelconque personne en Conseil des ministres pour le féliciter. C’est en soi, l’aveu humiliant que toutes les manigances sont menées dans des circuits parallèles qui échappent au contrôle des ministres concernés et du Premier ministre.
Disons-le tout de suite, Adjibou Soumaré n’est en rien responsable de ce désossement de l’Etat et de sa mise sous la tutelle des « agences ». Mais il a été pendant toutes ces années, le ministre du Budget, après avoir été pendant deux ans Directeur des finances. Il a cautionné toutes les formes de dérives budgétaires. C’est très courageux de reconnaître, devant la représentation nationale, le désastre économique que nous vivons, mais il en est le premier responsable, puisqu’il a été depuis 2002 responsable du Budget. Il est le mieux placé pour dire comment se sont volatilisés les 925 milliards de recettes collectées l’année dernière. Ceux qui espéraient que le salut viendrait de cet homme, étiqueté abusivement « technocrate pur et dur » doivent déchanter. Le Premier ministre n’a pas de colonne vertébrale. Ce n’est pas une question de compétence technique ou livresque, c’est une question de personnalité.
A la fin des années 90, Abdou Diouf avait, dans un contexte économique presque similaire, nommé son ancien ministre du Budget, Mamadou Lamine Loum, Premier ministre. Mais il ne s’est pas mis à faire des emprunts de toute part, pour trouver de l’argent frais, comme le fait ce Premier ministre. Le droit de s’endetter ( revendiqué par le ministre Abdoulaye Diop ) ne donne pas le droit de brader le patrimoine national et les actifs du pays. Loum avait demandé des sacrifices à tout le monde, mais il avait commencé par les riches. La présidence avait diminué son Budget de 25%, et les ministres leurs salaires.
Abdoulaye Wade s’est attelé à augmenter le budget de la présidence de 100%, et le salaire des ministres de 400%. Au moment où on avoue que l’économie va mal, il s’octroie la bonne part, et se prépare à mettre en place son Sénat, en toute irresponsabilité, sûr qu’il pourra s’épargner le prix de ses excès.
Il n’y a pas de doute, la fonction de Premier ministre est morte. Mais c’est le vœu de toujours d’Abdoulaye Wade. Il l’a « institutionnalisée » sous la pression de ses alliés de la Ca 2000. Sitôt Moustapha Niasse parti, sa première idée a été de la supprimer. Mais cette tentative aurait été une gaffe aussi grosse que celle qui visait à supprimer la laïcité de la Constitution. Senghor avait trouvé ce montage dans des conditions très particulières, suite aux mouvements sociaux de mai 68. Les cadres de son parti avaient estimé qu’il devait prendre de la hauteur, et se faire seconder par un Premier ministre. S’ils doivent tous avoir le destin d’un valet de chambre, nous devons être conséquents avec nous-mêmes, et supprimer ce poste.
C’est illogique d’amener tous les ans le Premier ministre à prendre devant la représentation parlementaire des engagements auxquels il n’est pas tenu, puisqu’il n’est pas responsable devant l’Assemblée nationale. Avec la décrépitude de la fonction de Premier ministre, la déclaration de politique générale est devenue, elle-même, une déclaration d’intentions généreuses. Mais sur ce terrain, le président de la République a toujours une longueur d’avance. Il gouverne par les mots, et il sera très difficile de le battre en « paroles ».
Les seuls actes qu’il pose sont ceux qui renforcent son pouvoir monarchique. Après le Sénat, il va faire main basse sur le Conseil de la République. Un projet de loi est déjà l’Assemblée nationale, pour modifier la loi 2003-34. Sur les 100 conseillers de la République, les 75 seront nommés par le président de la République, et les 25 autres seront nommés sur proposition des corps socioprofessionnels par… le président de la République ! Il veut exercer son pouvoir jusqu’au bout, il veut son monde entièrement contrôlé. Et un jour, il fera écrire partout, avec sa horde de fanatiques, « l’ignorance, c’est la force ».
Souleymane Jules Diop - Lignes enemies
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