Santé des personnes âgées : Le prix de la gratuité

Sésame ouvres-toi ! Dit-on souvent quand l’on veut accéder à un lieu secret. Voilà un an que le «plan sésame» est appliqué au Sénégal pour une meilleure prise en charge de la santé des personnes âgées. Avec le projet sésame, les structures sanitaires sont souvent confrontées à un certain nombre de difficultés. Ainsi, si ce ne sont pas les subventions de l’Etat qui tardent à tomber, c’est le nombre de patients, de plus en plus considérable, qui pose problème. Les praticiens se voient souvent payer les pots cassés… par l’Etat.

Une femme, la soixantaine, discute la voix cassée avec un homme, tout de blanc vêtu. Une fille emmitouflée dans un foulard vert qui lui sert de voile, devant une porte sur laquelle il est écrit, en caractères soignés, «Salles de consultations et d’urgences», appelle à tour de rôle les visiteurs. D’autres, en attendant leur tour, sont couchés sur les bancs qui font office de salle d’attente.

Le bruit des véhicules, qui empruntent la route qui mène vers Ngor et les Almadies, perturbe, par moment, la quiétude qui règne dans ces lieux. S’y ajoute les va-et-vient des hommes et femmes en blouses blanches. Nous sommes au centre de gériatrie et de gérontologie de Dakar, situé à Ouakam. Un centre qui ne s’occupe que des personnes du troisième âge. Une structure où le fameux projet dénommé «plan sésame» trouve ses origines et sa raison d’être. L’un des initiateurs de ce projet est le médecin chef du Centre qui s’intéresse, uniquement aux maladies des personnes âgées.

Le plan Sésame, entré en vigueur le 1er septembre 2006, permet ainsi au Sénégalais de 60 ans et plus de bénéficier des soins médicaux, sans rien donner en contre partie. Il s’agit d’une prise en charge médicale gratuite des personnes du troisième âge, pour les soins comme pour les médicaments dits essentiels aux personnes âgées. Seulement ce Sésame ne couvre que les médicaments génériques, c’est-à-dire ceux disponibles au niveau des pharmacies IB, qui ne sont pas habilitées à vendre les autres types de médicaments. Alors pour les spécialités, le patient doit débourser ses propres «francs» pour se refaire une santé.

Ce qui constitue selon Mamadou Sélou Diallo, agent comptable particulier de l’hôpital Fann, un problème majeur pour ces «seniors (qui) sont le plus souvent atteints de maladies dont les médicaments coûtent chers et qui ne sont pas disponibles au niveau de la pharmacie IB. C’est un problème réglementaire». Alioune Guèye, le chef du bureau des entrées de l’hôpital Fann, d’insister que certaines maladies ne sont pas prises en charge par le plan sésame.

Le plus souvent les personnes âgées présentent plusieurs pathologies : insuffisance rénale, maladies cardio-vasculaires ou encore les accidents cérébro-vasculaires. Le seul hic c’est que les coûts de ces maladies sont très élevés, et les subventions de l’Etat ne couvrent pas les médicaments de spécialités. Non plus les maladies relatives aux prothèses de cœur ou de cerveau ne sont pas concernées par ce projet. Pour M. Guèye, cette carte Sésame, qui a montré dès le début ses limites et ses failles, est loin d’être une solution pour alléger les souffrances financières des «retraités». Pour corriger ces insuffisances, M. Diallo demande à l’Etat d’augmenter les subventions, afin d’inclure dans ce plan les médicaments de spécialités. Et «le plus tôt sera le mieux», lance-t-il.

Des fonds qui tombent pas
Seulement les subventions ne font plus saliver les structures hospitalières, à la limite elles créent même un certain nombre de problèmes, voire même un désordre. Pour certains, l’Etat ne respecte pas l’esprit des subventions, qui de surcroît ne tombent pas à temps. Ce qui pose un véritable problème de fonctionnement. Selon le docteur Ousseynou Kâ, le centre de gériatrie qu’il dirige ne dispose pas de fonds, car la subvention de l’Etat est octroyée sous forme de médicaments. «Nous n’avons pas de l’argent liquide, ni de recettes», explique le médecin chef, qui déplore aussi des lenteurs dans le paiement.

En fait les hôpitaux doivent assurer d’abord la prise en charge de ces personnes, faire un décompte, avant de prétendre à un remboursement au niveau de la Direction de la santé. Selon Mamadou Selou Diallo, agent comptable particulier de l’hôpital Fann, l’Etat anticipe souvent sur les subventions, mais les structures sanitaires doivent surtout justifier l’utilisation de ces fonds, avant d’espérer en recevoir encore. «La première subvention que nous avons obtenue de l’Etat était de 50 millions Cfa. Cet argent devrait couvrir les six premiers mois. Mais, avant même de boucler les six mois, nos factures s’élevaient à 56 millions. Nous avions même dépassé la subvention. Heureusement au mois de juillet dernier, l’Etat a versé dans nos comptes 100 millions pour les six prochains mois», se réjouit-il.

En outre, il y a des patients qui, par le biais de certificats d’indulgence, bénéficient de soins gratuits au niveau des hôpitaux. Ces certificats posent un certain nombre de problèmes à ces structures, à l’instar du centre hospitalier universitaire (Chu) de Fann, qui courent toujours derrière leurs sous : l’Etat leur doit 247 millions de francs Cfa comme remboursement indique, à ce titre, M. Guèye. Le chef du bureau des entrées de l’hôpital Fann, de souligner que si l’Etat ne rembourse pas cet argent, cela pourra créer des perturbations dans le fonctionnement de l’hôpital. Un certificat d’indulgence est un papier par lequel l’Etat s’engage à payer pour un malade, qui n’a pas les moyens, de se soigner. Ce certificat est délivré, après enquête de moralité sur la personne, par le gouverneur, le préfet ou le sous préfet.

A chacun ses maux. Le centre de gériatrie et de gérontologie ne reçoit pas de fonds, mais plutôt des médicaments de l’Etat. Et, cela constitue un handicap selon Dr Kâ. «On nous considère comme un centre de santé, alors que nous sommes un centre spécialisé. Si l’Etat nous subventionnait en argent liquide comme il le fait avec les autres centres, ce serait une bonne chose», fait-il savoir.

Un rush difficile a contenir
Par ailleurs, avec le plan sésame, les perturbations concernent aussi bien les finances que le fonctionnement. En effet, c’est le grand rush vers les structures sanitaires où le rythme de travail a augmenté. Ainsi, pour s’en sortir, les agents sont obligés de procéder par des rendez-vous. Surtout pour des centres spécialisés comme le centre gériatrique où sont orientées toutes les personnes du troisième âge. Même celles qui viennent des régions. «Le flux est difficile à gérer. Notre seul problème c’est que nous ne parvenons pas à absorber tout ce nombre. Pour cela, nous sommes obligés de donner des rendez-vous à certains pour ne pas travailler à la va-vite, parce que la consultation gériatrique prend du temps», explique Dr Kâ.

Ces mesures n’agréent pas du tout les personnes concernées. Abdoulaye Diop, la soixantaine révolue, est assis juste devant la porte d’entrée de l’hôpital Fann. Accompagné d’un jeune homme d’une trentaine d’années, il fait valoir son droit au plan Sésame. C’est son deuxième passage à l’hôpital, mais jusqu’au présent il n’a pas encore bénéficié de soins. «Lors de ma première visite, on m’avait demandé d’amener une lettre de garantie plus d’autres papiers et de revenir cette semaine. Aujourd’hui je suis là encore en train d’attendre et j’espère qu’on ne va pas me renvoyer encore», confie-t-il, l’air hagard. Même son de cloche chez la dame Fatou Kiné. Assise près de la pharmacie de l’hôpital Fann, Fatou, 64 ans, est à demi somnolente, perturbée par le bruit de la sirène d’une ambulance qui vient de passer. Quand on lui parle de plan Sésame, Fatou profère toute sa déception : «Quand on m’a parlé de ce projet j’ai esquissé même des pas de danse. Voilà quelques mois après je suis très déçue. Moi qui croyais qu’avec ce projet j’allais enfin guérir de cette maladie (elle refuse de révéler sa maladie). Mais, on m’a dit que le plan Sésame ne prend pas en charge des maladies comme la mienne. Et puis on me donne des rendez-vous à n’en plus finir», marmonne-t-elle.

Sa déception est aussi grande que le bonheur de certains Sénégalais de la diaspora. Ceux-là qui reviennent au pays uniquement, afin de bénéficier de ces soins gratuits. Le médecin chef du centre de gériatrie dit en avoir reçu quelques-uns. Mieux, selon Ousseynou Kâ, il y avait eu un cas d’évacuation qui provenait de la Guinée Conakry. Mais, malheureusement, la personne était atteinte d’une maladie incurable.

Source: Le Quotidien

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