Cinéma de Minuit au Bidew

Le cinéma de Minuit du Bidew opère une montée en puissance. Après avoir convié les cinéastes de la génération télé, voici qu’il offre aux Dakarois l’avant première mondiale du dernier film de Laurence Attali "Le temps d’un film" un documentaire de 52 minutes réalisé en août 2007. C’était le samedi 1er septembre.

Le terme Road movie figure dans le lexique cinématographique. Et voici que la réalisatrice franco-sénégalaise Laurence Attali adjoint au terme un autre : celui de River movie. Une quête au fil de l’eau, la recherche d’un endroit où planter sa caméra pour la réalisation de son film "Le déchaussé", une histoire d’amour librement inspirée de la loi du lévirat et dernier de la "Trilogie des Amours" qui comporte "Et même le vent… " et "Baobab". "Le temps d’un film" donne une nouvelle orientation au genre "making off" qui restitue d’ordinaire l’envers du décor d’un film au moment de sa réalisation. Il est question dans ce long métrage documentaire de réajustement permanent d’un projet de film, de métamorphose avec ses moments d’euphorie, de déception, de remise en cause, de découragement profond, de lassitude, le tout sur un ton humoristique, avec la ferme volonté d’aller jusqu’au bout, quitte à relater l’histoire d’un projet avorté et dont le titre serait : "Le déchaussé n’aura pas lieu". Une manière de convertir un échec en réussite traduisant ainsi une démarche positive.

Fort heureusement "Le déchaussé" a eu bien lieu et figure dans la filmographie de Laurence Attali à la neuvième place. Mais pour Laurence Attali, il s’agit dans ce film de montrer "la face cachée qui précède un tournage, la trace de ce qui aurait pu se faire, pu se voir, pu s’entendre… dévoiler les déclics, les trouvailles. Rendre compte des comédiens jamais choisis, mais qui avaient aussi leur raison de se trouver là, des lieux jamais retenus qui imprègneront d’autres décors... Toutes ces choses qui font les fondations d’un film, et sur lesquels en général, on ne se retourne pas... "

Quatre années après la sortie du "Le déchaussé", l’envie de raconter les tribulations, dans la recherche des comédiens, des lieux, ne s’est jamais estompée. Elle s’imposait comme une urgence, une façon de se préparer à la réalisation de son prochain et premier long métrage fiction : "Noces Inoxydables". Dés lors, quoi faire avec les images de repérage, de casting, d’audition, qui illustrent des journées et des nuits d’intenses émotions ? Il y avait là assurément matière à évacuer le trop plein de stress emmagasiné lors de la phase préparatoire du film "Le déchaussé". Alors, comme un ingénieux cuistot en chef, elle se lance dans l’art d’accommoder les restes, mêlant images d’archives et images prises sur le vif. Une manière aussi de dire à Tom Waits : "Vla ! Tu n’as pas voulu être Booz, eh ben tu le seras."

Sur la scène du Rex, chapeau feutre, la fumée de sa cigarette embrume les sunlights, la voix rauque et traînante, il ne manque au chanteur Tom Waits qu’un parapluie et des claquettes pour donner au film de Laurence Attali le ton d’une comédie musicale sur un mode dégingandé. Attali avait jeté son dévolu sur Tom Waits. Mais autant chercher une aiguille dans une meule de foin. Et quand la chance lui sourit, la réponse de l’artiste est glaciale. Désolé, j’ai pas le temps ! Ce qui fit verser une larme à la caricature de la réalisatrice présente dans le film. Véritable personnage de bande dessiné aux gros mollets, à la chevelure ébouriffée ; la caméra au vent. Booz ne sera donc pas Tom Waits, il ne sera pas non plus Francesco Pini, alors s’opère une transmutation. Le chapeau feutre de Tom Waits se transforme en un chapeau de gaucho sur la tête de Cheikh Lô, chanteur et musicien sénégalais qui avait fait une apparition dans "Et même le vent… " . Booz, le blanc devient ainsi Booz, le noir. Farfouillant dans la malle de ses précédents films, la réalisatrice Attali voulut reconduire Bettina Kee et son saxophone dans le rôle de Esther, mais voici que le violon tzigane en la personne de Maylis Guiard-Schmid s’impose. Oumou Sy célèbre styliste, costumière de "Hyènes" de Djibril Diop Mambeti et personnage récurrent des films de Laurence Attali ravit la vedette au jeune sculpteur Ndary Lô pour le rôle de Zaglad philosophe et sculpteur anachronique.

"Le déchaussé" était sensé se dérouler à Venise, mais Venise ne l’a pas voulu ainsi. Alors, le regard de Attali se tourne vers Paris, ville d’eau également et la Seine avec ses écluses, ses synagogues. Saint Louis du Sénégal, ville océane et fluviale avait plus d’un atout sur les deux. L’effrontée île de la Madeleine sur les rivages de Dakar avait eu, auparavant, l’outrecuidance de chercher à la supplanter. Le tournage du "Le déchaussé" se fera finalement à Saint Louis du Sénégal avec un palais de justice transformé en synagogue.

"Le temps d’un film", dans sa construction, déstructure le récit, procède par mise en parallèle et décalcomanie avec le recours aux effets vidéo clip. Un film écrit sur le banc de montage, ce qui justifie les propos de Laurence Attali dans la revue Africultures "Je trouve que la philosophie et le montage sont très liés. Ils cultivent l’esprit de synthèse (…) Le monteur est à l’écoute de la pensée et essaye de la mettre en forme. La philosophie procède aussi d’un accouchement de la pensée (…) J’ai abandonné très vite la philosophie, mais j’ai l’impression qu’elle est tout le temps avec moi dans le travail". "Le temps d’un film" est spécialement un film de montage.

Source: La Sentinelle

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