Tant que l'État ne considérera pas le secteur de la culture comme un levier du développement, on n'ira pas loin au Sénégal

Secrétaire général du "Festinal international du film de quartier", Oumar Ndiaye reste optimiste pour l'avenir du cinéma sénégalais. Dans cet entretien, faisant le point de l'organisation de la 9ème édition du festival prévue du 12 au 17 décembre prochain, il prône en outre la mise en place des conditions adéquates pouvant accompagner notre cinéma.

Un cinéma sénégalais qui, selon lui, se développe dans d'autres sphères étrangères et non au Sénégal. Toutefois, Oumar Ndiaye considère que si le secteur du cinéma et, de façon générale, celui de la culture n'est pas pris en compte par l'État comme un moteur de développement, le Sénégal risquera de connaître d'énormes difficultés.

Vous allez bientôt organiser la 9ème édition du Festival du film de quartier. Quelles seront les grandes innovations de l'événement ?
Oumar Ndiaye : La 9ème édition du "Festival international du film de quartier" aura lieu du 12 au 17 décembre 2007. Pour l'organisation de ce festival, nous essayons de continuer sur la même lancée que les éditions précédentes. Nous avons fait un état des lieux des dernières éditions du festival en essayant quand même d'apporter des innovations majeures cette année, tant du point de vue organisation et programmation que du point de vue de la diversité par rapport aux lieux d'où proviennent les films qui seront projetés devant le public. Le festival de cette année aura un cachet international particulier.

Il y a plus de dix-neuf (19) pays qui seront représentés dans la programmation officielle. Pour ce qui est du choix des lieux, nous avons essayé de faire en sorte que les populations des quartiers sentent que le festival est le leur. C'est pourquoi nous sommes entrés en contact avec les associations des quartiers pour ainsi donner une dimension populaire à la manifestation. L'autre innovation cette année, c'est qu'il y aura une exposition d'art plastique où les artistes plasticiens vont tenter de représenter le Sénégal en peinture.

Aujourd'hui, est-ce que l'on peut noter certains changements pour ce qui est des objectifs du festival ?
Nous avons toujours les mêmes objectifs et les mêmes ambitions. Il s'agit de promouvoir le film sénégalais, africain, le film d'une manière générale. De nos jours, le Festival du film de quartier est un des rares festivals où l'on peut regarder des films à l'heure où il n'y a plus de salles de cinéma au Sénégal. Ce que nous voulons, c'est de faire de telle sorte que les Sénégalais puissent s'approprier le festival.

Le festival gagne de plus en plus une notoriété. Mais, quelle est l'image qu'il contribue à donner au cinéma sénégalais de manière concrète ?
Je pense que c'est une image positive du cinéma sénégalais que le Festival international du film de quartier offre à notre pays. Le travail que nous faisons améliore beaucoup la visibilité de notre cinéma tant au plan national qu'international. Le festival est devenu un pont pour beaucoup de réalisateurs sénégalais. Il leur permet de pouvoir montrer leurs films au public. Le festival est un tremplin pour bon nombre de réalisateurs du pays de faire voir leurs films dans d'autres festivals à l'étranger. Aujourd'hui, notre travail ne se limite pas, durant le festival, à montrer les films et à susciter des débats entre réalisateurs et spectateurs, mais aussi à créer des jonctions avec d'autres festivals.

Il y a beaucoup de festivals à l'heure actuelle qui nous sollicitent, durant toute l'année, des films sénégalais. Et nous essayons dans la mesure du possible de concocter des programmes et de leur proposer des films. Ce sont des programmes qui reflètent la diversité cinématographique de notre pays. Ces programmes que nous envoyons montrent toute la pluralité de notre cinéma tant du point de vue documentaire que celui de la fiction. Nous servons de relais entre les réalisateurs et les autres festivals à l'étranger.

Vu ces immenses efforts que vous fournissez pour le meilleur devenir du cinéma sénégalais, est-ce que vous avez un appui des autorités étatiques pour contribuer davantage à asseoir notre industrie cinématographique ?
Si on parle d'appui de l'État de façon générique, je dirai oui, nous l'avons. L'État nous appuie symboliquement, mais pas de manière consistante sur l'aspect financier. Cela veut dire, qu'aujourd'hui, l'appui de l'État ne changerait rien à la donne. Que l'État nous soutienne ou non, le festival continuera d'exister. Le seul appui de l'État que l'on peut noter considérablement est que le festival est aujourd'hui inscrit dans l'agenda culturel du Sénégal. Ensuite, pour que nous puissions produire nos films, nous utilisons ses décors, ses lumières...

Chaque année, au niveau du Média centre de Dakar, les stagiaires produisent à leur sortie des films. Quel est l'impact que l'on peut noter par rapport à ces films dans la société sénégalaise ?
Je crois que c'est un impact que l'on peut mesurer sur plusieurs angles. Cela contribue grandement à rehausser le nombre de productions de films au Sénégal. Au Média centre, nous produisons chaque année au moins plus de dix films. Des films qui seront comptabilisés dans les statistiques que l'État va donner à l'étranger. Il y a beaucoup d'organisations de la société civile qui utilisent ces films à des caractères de sensibilisation ou de promotion. Ce sont, en quelque sorte, des films qui abordent beaucoup de problématiques sociales auxquelles nous sommes confrontés.

A cet effet, n'y a-t-il pas une nécessité de procéder à la diffusion des films sénégalais sur nos écrans de télévisions en lieu et place des télénovas offerts au public?
Aujourd'hui, nous saluons la pluralité des chaînes de télévisions qui commencent à émerger au Sénégal. Mais, ce qu'il faut déplorer est que ces chaînes de télévisions ne prennent pas en compte, dans leurs grilles des programmes, les films qui sont produits au Sénégal. Alors qu'au Sénégal, il y a beaucoup de films de courts et de longs métrages qui sont produits et qui décrivent nos propres réalités de vie. Et cela, tout en donnant des voies et moyens pour améliorer nos comportements, nos conditions de vie, pour ainsi aller vers un Sénégal émergent. Aujourd'hui, l'État doit servir de régulateur. Cela, en imposant un système de quota pour que nos films puissent avoir leur place à la télévision.

Et, dans ce sens, quelles sont les démarches que vous entreprenez pour sensibiliser tous les acteurs concernés, afin que nos films soient montrés davantage pour ainsi pousser les Sénégalais à consommer leurs propres produits ?
Beaucoup de démarches ont été entreprises dans ce domaine. Mais, cette année, de façon spéciale, dans le cadre de la 9ème édition du Festival international du film de quartier, nous avons eu l'idée de mettre sur pied un salon de l'audiovisuel. Ce salon a pour objectif de réunir les acteurs du secteur, notamment les producteurs, les diffuseurs, les comédiens. Cela pour voir comment donner plus de visibilité aujourd'hui à nos films qui sont produits régulièrement au Sénégal. L'idée de ce salon est de faciliter les rencontres, les échanges et les transactions aussi entre les professionnels de l'industrie du film. Mais de développer la coproduction à l'échelle nationale, de promouvoir la production locale.

Un catalogue des films produits durant les deux dernières années sera édité par "Cinéma de Quartier". Au Média centre, on a un catalogue de plus de 80 films qui répondent aux normes des chaînes de télévisions. Mais ces films-là, ne sont pas montrés. Aujourd'hui, la télévision nationale ne joue pas franc-jeu. Si on s'inspire des télévisions étrangères, ça veut dire que, quand je fais un film, je dois le proposer à des chaînes de télévisions pour un achat. Mais si aujourd'hui la télévision te propose un pourcentage de 30 à 40%, cela veut dire «que j'accepte de diffuser ton film, cherche des sponsors pour montrer ce film». Si on n'a pas de sponsors, comment le producteur va entrer dans ses fonds et produire d'autres films? C'est cela le véritable problème. C'est pourquoi, nous pensons à l'assainissement du secteur. En ce sens, c'est l'État qui peut nous aider. Les diffuseurs doivent cependant aller vers les réalisateurs pour voir ce qu'ils ont comme produits afin de les insérer dans les grilles de programmes.

Actuellement, qu'est-ce qu'il faut faire pour donner un envol nouveau au cinéma sénégalais avec tous ces problèmes qu'il traverse ?
Certains disent que le cinéma sénégalais est mort. Mais moi, c'est le contraire que je pense. Aujourd'hui, il y a beaucoup de films qui sont produits, des réalisateurs qui, durant toute l'année, parcourent le monde pour montrer nos films. Le problème majeur qu'il faut noter est que nos films ne sont pas visibles aux Sénégalais. C'est ça le véritable paradoxe. La question que je me pose est de savoir, est-ce que l'on produit pour notre public ou bien pour des festivals à l'étranger? Je connais beaucoup de réalisateurs sénégalais qui, durant toute l'année, passent leur temps à parcourir des festivals étrangers.

Cela veut dire que nos films marchent très bien. Parce que, s'ils n'intéressaient pas, ils ne seront jamais dans la programmation de tous ces festivals. Notre cinéma continue d'exister, mais dans d'autres sphères. Pour que notre cinéma puisse continuer d'exister au Sénégal, il faut aussi que l'État et nos collectivités locales puissent appuyer nos manifestations. Nos savons très bien que l'État a d'autres préoccupations, d'autres priorités, mais tant qu'il ne considérera pas le secteur du cinéma et de la culture, d'une manière générale, comme un levier du développement, moi je pense qu'on n'ira pas loin au Sénégal. Aujourd'hui, il y a une forte demande des Sénégalais en matière de cinéma, de musique. Le taux actuel de la piraterie des Dvd que l'on voit dans les rues en est une preuve. Cela, parce que les gens n'ont pas d'endroits sécurisants pour regarder les films. Si chaque collectivité locale, dans son budget de fonctionnement, prévoit de construire une salle de cinéma dans sa commune, on ne parlera plus de problèmes auxquels nous sommes confrontés.

Est-ce qu'il n'y a une urgence d'assainir le secteur de l'audiovisuel pour offrir au public des produits de qualité ?
Cela est vrai. Le secteur de l'audiovisuel n'est pas un secteur assaini. Dans ce milieu, on ne sait pas qui est qui et qui fait quoi. Il faut parler du problème de la formation, en créant des écoles de formation capables de prendre en compte tous les besoins du secteur. Il faut aussi des maisons de production dignes de ce nom et crédibles pour s'occuper du montage financier d'une production; qu'il y ait également des diffuseurs et des vendeurs qui pourront servir d'intermédiaires entre le producteur et les diffuseurs. Si on atteint ce stade, notre cinéma pourrait sortir du marasme dans lequel il est trempé depuis des années.

Quels sont les projets actuels du Média-centre ?
D'abord, vous savez, nous ne demandons pas à l'État de sortir de ses caisses une manne financière pour produire des films. Mais, qu'il crée le cadre juridique pour nous permettre de trouver des fonds ailleurs. Notre souhait aujourd'hui, est que l'État nous facilite l'accès à ces fonds pour augmenter la qualité de la formation au Média-centre, développer la production, industrialiser le secteur de la diffusion. Ce sont là des projets que nous avons. En 2005, on avait soumis au Ministère de la Culture, aux 19 communes de Dakar et aux 16 communautés rurales de Pikine, un projet-pilote appelé "Cinéma de quartier". L'objectif étant de voir comment organiser des séances de projections dans ces localités et comment, dans l'avenir avec la coopération décentralisée, créer des salles de cinéma dans ces communes. Nous attendons toujours des partenaires pour la réalisation de ce projet.

Source: Le Matin

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