La sébile, l'ustensile qui cache le drame des mendiants

Abou, Samatan et Cheikhna sont des mendiants au passé différent l'un de l'autre, mais tous les trois partagent un destin presque similaire et dramatique à la fois : ils font partie des indigents de la capitale sénégalaise à la quête d'une pitance, à la faveur d'une générosité des âmes charitables.

A 29 ans, Abou Konaté traîne les coups du sort ayant handicapé la vie de sa famille. ‘'Je mendie pour notre survie, ma mère, ma sœur et moi. Je ne peux pas travailler à cause de ma main amputée ; je ne peux pas rester là-bas à les regarder mourir de faim'', confie-t-il, avec la conviction d'un ‘'homme de devoir''.

‘'Notre père est mort depuis 1982, alors que j'avais quatre ans. Notre mère a atteint le crépuscule de sa vie. Pire, elle est aveugle. Ne pouvant plus gagner sa vie ou plutôt, n'ayant plus une vie à gagner, elle reste tous les jours cloîtrer sur sa chaise'', raconte cet habitant des Parcelles assainies. Tous les jours, il quitte tôt cette banlieue de Dakar.

A l'instar des travailleurs du centre-ville pressés d'arriver à l'heure au bureau, mais stressés par les bouchons, Abou se fait une obligation, lui aussi, d'arriver avant sept heures sonnantes à un carrefour du Plateau pour s'adonner à son occupation : tendre la main. Une activité qu'il prend au sérieux, tant elle est source de revenus pour lui et de satisfaction des besoins de sa famille.

‘'Je fais tout pour me pointer ici avant sept heures. C'est un carrefour où beaucoup de gens passent et je leur tends la main. Tantôt on me jette une pièce dans les pieds avec dégoût ou mépris. Tantôt, on me la donne sur la main avec un visage souriant'', poursuit-il, stoïque.
Faute du mieux, la fin et les moyens se confondent chez lui. ‘'Tantôt c'est du sucre qu'on donne pour chasser le mauvais sort et pour éloigner un mal. Mais, ça m'importe peu. Pour moi, l'essentiel c'est, qu'à mon retour à la maison, que ma mère et ma sœur aient quelque chose pour se remplir le ventre'', explique-t-elle.

Abou se sentirait heureux s'il apprenait la vie de Samatan Ghislaine. Sans domicile fixe, elle dit mendier pour nourrir les deux petits qu'elle porte, péniblement. ‘'Leur père est mort dans un accident juste une semaine après leur naissance. Sa famille qui ne m'a jamais acceptée d'ailleurs, m'a fait savoir juste après le deuil qu'elle n'était pas disposée à me prendre en charge'', s'émeut-elle.

Peu surprise de ce sort qui lui est réservé, elle tente de retourner chez son dernier employeur, un dignitaire de l'ancien régime socialiste. Portes closes, là aussi : ‘'Je suis retournée à Tivaouane pour voir si je pourrais reprendre mon travail de ménagère dans la maison que j'avais quittée quand je me suis mariée. A ma grande surprise, on me le refusa parce que j'avais une charge avec moi''.

Comme un mauvais sort, cette situation revient à chaque fois qu'elle se présentait devant une villa avec ses bébés. ‘'J'étais obligée de les emmener'', répond, par anticipation à une question ou un reproche quelconque, cette Togolaise ‘'venue au Sénégal en 1998 pour chercher du travail''. ‘'Je travaillais jusqu'en 2003. Quand je me suis mariée en juin (de la même année), mon mari avait jugé nécessaire que j'abandonne (le travail) pour gérer la maison et il envoyait de l'argent à ma famille restée au Togo'', confie Samatan, qui habite la rue avec ses enfants, sans revenus fixes non plus.

‘'Quand tout ceci m'est arrivé, je suis allée me présenter à des centres d'aide pour la prise en charge de cas sociaux. J'ai même écrit une demande de couverture sociale que j'ai déposée au cabinet d'un ministère de votre gouvernement là, mais il n'y a même pas de réaction jusque-là'', ajoute-t-elle, non sans rappeler : ‘'je suis instruite''.

Déçue par le manque de soutien public auquel elle s'attendait, elle en fait sa propre religion. ‘'J'ai compris par-là qu'on se souciait peu de la réalité de la mendicité et j'ai démissionné. J'accepte la condition de mendiante comme un destin''.

Quid du risque de compromettre l'avenir de ses enfants ? ‘'Votre question ne me paraît pas pertinente, journaliste. Ou bien, elle n'est pas bien posée. Des enfants, des gens comme moi qui n'ont que la rue pour refuge ne peuvent pas prétendre assurer l'avenir de leurs enfants. Ne soyez pas dupe journaliste. Vous êtes instruite. Vous comprenez ce qu'est la rue. Vous êtes mieux placée que moi pour savoir que la rue n'a jamais produit d'avocat, d'ingénieur ou de technicien'', commente-t-elle.

‘'Nous sommes exclus de la société. Nos enfants le seront certainement'', renchérit-elle, précisant qu'elle n'est pas pessimiste ni fataliste. ‘'Non, c'est juste que je ne veux pas que vous jouiez avec moi en nourrissant de faux espoirs en moi. Combien sont-ils à baver dans les radios et télévisions dès qu'on parle de mendicité ?'', se plaint-elle.

Et après, ‘'qu'est-ce qui est fait pour nous ?'', se demande-t-elle. ‘'Les dossiers sont rangés dans les tiroirs aussitôt après que les débats sont clos. Comme si désormais tout devait commencer par le discours et finir par des applaudissements. Ce qu'il nous faut, ce n'est ni le discours ni les applaudissements. Ceux qui discourent entre guillemets, pour nous, ont le ventre plein ; de même que ceux qui applaudissent. Et nous ? Qu'est-ce qu'on a ? Pas plus que la journée nationale pour la lutte contre la mendicité. C'est hypocrite. Et vous le savez'', se lamente-t-elle.

Cheikhna Sidibé ne se pose pas tant de questions et n'en pose pas non plus. En revanche, il s'explique, volontiers, sur ce l'a poussé à mendier : ‘'C'est pour l'amener à un ami de mon père à qui on m'a confié''. A cette innocence naturelle s'ajoutent l'indigence et l'ignorance dont il est précocement victime.

A 11 ans, il ne va ni à l'école française ni à l'école coranique. ‘'Mon tuteur m'a dit que ce n'est pas aussi important. Quand on mendie, on peut juste apprendre et chanter ensuite : +baay Abdallah mooy baayou Nabi+ (éloge du prophète Mohammad, en wolof)''. Cette pitance qui lui passe par la main, 300 à 450 francs par jour, Cheikhna ne la prend pas pour un gagne-pain : ‘'Je veux bien aller à l'école mais il (le tuteur) n'en veut pas''.

Source: APS

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