Vingt ans après l'assassinat de Thomas Sankara, son mythe est toujours vivace

Il y a 20 ans, le 15 octobre 1987, était assassiné, à l'âge de 38 ans, Thomas Sankara. L'histoire retiendra que l'ancien président du Burkina Faso a mis en œuvre au pouvoir une vision d'une Afrique digne et indépendante comptant sur ses propres forces pour réaliser son développement économique, social et culturel.

Le caractère original de sa manière, très proche du peuple et différente de ce qui a cours sur le continent, d'exercer le pouvoir avait marqué les esprits au point qu'il est aujourd'hui devenu un mythe auprès des jeunesses africaines.

A l'image du Che Ernesto Guevara auquel il se référait souvent.Même ceux qui n'avaient pas encore vingt ans quand son élan fut brisé lors d'un coup d'Etat qui a porté au pouvoir son ‘'frère'' Blaise Compaoré sont acquis aux idéaux panafricanistes qu'il a incarnés tout au long de sa courte vie.‘'Tom Sank'' comme certains l'appelaient voulait être un président différent, dans ses actes et ses discours. Il voulait incarner un certain enthousiasme pour rompre avec le néocolonialisme dans lequel s'étaient installés nombre de pays africains, notamment francophones, dans leur rapport avec la France.

Thomas Sankara est né à Yako (centre-nord du Burkina Faso) le 21 décembre 1949, dans une famille de la bourgeoisie moyenne et très chrétienne qui souhaitait d'ailleurs qu'il devienne un prêtre. Il deviendra militaire.Sa carrière commence à 19 ans, avant qu'il ne soit envoyé poursuivre sa formation à Madagascar. Dans ce pays, il assiste aux soulèvements populaires qui renversent le régime néocolonialiste en 1971-72. De là, naissent ses idées d'une ‘'révolution démocratique et populaire''.

Il retourne en Haute-Volta en 1972 et participe à la guerre contre le Mali de 1974. Sankara se rend ensuite en France, puis au Maroc où il rencontre en 1976 Blaise Compaoré. Les deux hommes deviendront rapidement très proches, se considérant comme des ‘'frères''. Ils forment avec Henri Zongo et Jean-Baptiste Boukary Lingani le Rassemblement d'officiers communistes (ROC) qui était un regroupement de jeunes officiers, durant la présidence de Henri Zerbo.Thomas Sankara est nommé secrétaire d'Etat à l'Information en septembre 1981 et il fait sensation en se rendant à vélo à sa première réunion de cabinet. Il démissionne avec fracas le 21 avril 1982 pour marquer sa protestation, en s'écriant ‘'malheur à ceux qui veulent bâillonner le peuple''.

Le 7 novembre 1982, un coup d'Etat porte Jean-Baptiste Ouedraogo au pouvoir. Thomas Sankara sera nommé Premier ministre en janvier 1983. Le mot peuple revient 59 fois dans son discours d'investiture. Après une visite du conseiller aux affaires africaines français, Jean-Christophe Mitterrand, le fils du président français, Thomas Sankara est placé en résidence surveillée.Son ami Blaise Compaoré organise un coup d'Etat le 4 Août 1983. Il le libère et le conduit au pouvoir. Il commence par prendre quelques mesures spectaculaires comme vendre les voitures de luxe des membres du gouvernement et se déplacer lui-même en Renault 5.Il reprend à son compte certaines thèses panafricanistes de Patrice Lumumba ou Nkwame Nkrumah, engage une lutte contre la corruption qui se traduit par des procès retransmis à la radio.

Les accusés ne sont toutefois pas sanctionnés par des condamnations à mort.Le jeune président entreprend une campagne de reboisement, développe une vaste campagne de vaccination des enfants et de construction d'hôpitaux. Sankara montre une conception moderne de la condition de la femme, réglemente la polygamie, interdit l'excision, nomme plusieurs femmes dans son gouvernement et supprime l'impôt par tête pour les paysans. Au premier anniversaire de la Révolution, le 4 août 1984, il change le nom de son pays de Haute-Volta (hérité de la colonisation) en Burkina Faso, ‘'le Pays des Hommes intègres''.

Il décrète la gratuité des loyers durant toute l'année 1985 et lance un programme de construction de logements.Le ‘'Consommons burkinabé'' (promotion du Faso dan fani, le tissu en coton burkinabé, entre autres mesures) ou ‘'La patrie ou la mort, nous vaincrons'' par lequel il concluait toutes ses interventions publiques, sont devenus plus que des slogans mais des leitmotivs qui symbolisent son mythe.

Il a incarné un renouveau dans la manière de diriger en commençant par appliquer à lui-même et à son gouvernement ce qu'il proclamait. Sankara c'était un chef d'Etat qui disait ce qu'il faisait et faisait ce qu'il disait.Lors de l'anniversaire de la révolution, le 4 août 1987, Thomas Sankara fait un bilan et reconnaît que la révolution est entachée d'erreurs. Il reconnaît implicitement qu'il va vite. ‘'Il vaut mieux faire un pas avec le peuple que cent pas sans le peuple'', dit-il annonçant un adoucissement dans la mise en ouvre de sa politique.Il s'oppose au paiement de la dette par les Africains. Le 29 juillet 1987, lors du Sommet de l'Organisation de l'Unité africaine (OUA) à Addis-Abeba, il lance ceci à ses collègues chefs d'Etat : ‘'je dis que les Africains ne doivent pas payer la dette.

Celui qui n'est pas d'accord peut sortir tout de suite, prendre son avion et aller à la Banque mondiale pour payer''.Dans l'enthousiasme de la révolution, Thomas Sankara a commis ses erreurs. Il a notamment remplacé 2.600 instituteurs par des révolutionnaires peu qualifiés, encouragé la création de sortes de milices qui finissent par créer de l'insécurité. Il muselle la presse, met en prison des opposants. Il mène ce qui est passé dans l'histoire comme la ‘'guerre des pauvres'' un conflit frontalier qui conduit à des affrontements avec le Mali (une centaine de morts).Il reste aujourd'hui de Thomas Sankara plus qu'un mythe, une légende ou quelques nostalgiques.

S'il en est ainsi c'est qu'au-delà de l'homme il y a une vision ayant suscité l'espoir qu'il est possible, pour un Etat africain, de compter sur ses propres forces, de traiter d'égal à égal avec ses anciens ‘'maîtres'' pour créer une société plus solidaire.Sur la scène burkinabé, plusieurs partis politiques et mouvements divers se réclament de sa vision politique. En cela il a gagné, si tant est vrai que la vision d'un dirigeant doit lui survivre.Déclinée en actes, la vision de Sankara c'était aussi des discours forts et clairs, dans lesquels il faisait preuve d'une éloquence remarquable. C'est au Prytanée militaire du Kadiogo que le virus de la politique le prend. Il devient un orateur populaire sous l'influence de son professeur et mentor Adama Touré, militant du Parti africain de l'indépendance (PAI).

‘'Il faut proclamer qu'il ne peut y avoir de salut pour nos peuples que si nous tournons radicalement le dos à tous les modèles que tous les charlatans de même acabit ont essayé de nous vendre 20 années durant'', lance-t-il lors de la Conférence internationale sur l'arbre et la forêt, à Paris en 1983.Il ajoute : ‘'il ne saurait y avoir pour nous de salut en dehors de ce refus-là. Pas de développement en dehors de cette rupture là. Il faut ranimer la confiance du peuple en lui-même en lui rappelant qu'il a été grand hier et donc, peut-être aujourd'hui et demain. Fonder l'espoir''.

A un journaliste américain, il parle de sa conception de la liberté : ‘'l'esprit de liberté, de dignité, de compter sur ses propres forces, d'indépendance et de lutte anti-impérialiste (...) doit souffler du Nord au Sud, du Sud au Nord et franchir allègrement les frontières. D'autant plus que les peuples africains pâtissent des mêmes misères, nourrissent les mêmes sentiments, rêvent des mêmes lendemains meilleurs''.L'attitude de Sankara et la grande popularité dont il jouit au sein de la jeunesse africaine lui attirent la méfiance de ses voisins et de certains pays occidentaux dont la France.

Le jeudi 15 octobre 1987 (‘'jeudi noir''), 16 heures.
Des armes crépitent au Conseil de l'entente, l'état-major du Conseil national de la révolution à Ouagadougou, tout près des ministères et de la présidence. Un groupe de soldats para commandos débarque avec pour mission de liquider tout le monde. Dans un bureau, le capitaine Thomas Sankara en réunion avec des conseillers lance à son entourage : ‘'restez-là, c'est moi qu'ils veulent !''.En tenue de sport, le président sort, se précipite dehors les mains en l'air. Il est immédiatement fauché à l'arme automatique.

Aucun de ses gardes ni conseillers ne sera épargné. Ils seront tous enterrés à la hâte, la même nuit, au cimetière de Dagnoen, un quartier de l'est de Ouagadougou. Vingt ans après cet assassinat, les progressistes du monde -- ses idées sont reprises par le mouvement altermondialiste -- gardent de lui l'image d'un homme intègre, qui a changé les mentalités de ses concitoyens et donné une dignité à son pays. Son image et son idéal résistent à l'usure du temps.

Source: Aps

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