Ses compositions étaient destinées à la danse, surtout. Si on les écoute uniquement, c'est pour suivre les variations de sa voix un peu nasillarde, les percussions ou les solos respectifs des divers instruments. Ce n'est nullement pour les paroles. On n'y comprendrait pas grand-chose. L'hispanophone qui les écoute peut se demander en quel sabir Labah Sosseh, qui vient de nous quitter dans la nuit de mercredi à jeudi, chante.
Pour le Sénégalais ou l'Africain, en général, c'est bien dans la langue de José Marti, le nationaliste, le poète de l'indépendance cubaine (1898). L'espagnol, il le baragouinait. Il avait créé sans doute sa langue à lui. Les mots qu'il forgeait montaient du tréfonds de son âme. C'était ce qui importait pour lui. Cela lui servait surtout à mettre ses admirateurs dans la bonne humeur, à chauffer l'ambiance des salles de réjouissances et des dancings. L'essentiel, c'était que celui qui n'était pas sur la piste de danse battît quand même la mesure sur la table devant laquelle il était assis ou tapotât du pied les carreaux.
Labah Sosseh a surgi sur la scène musicale africaine au tout début des années soixante. L’époque du Rico Jazz et de l’OK Jazz du Congo. De la rumba mais aussi de la musique cubaine qui, depuis des années, avait traversé l’Atlantique, en sens inverse, pour retrouver ses racines noires. La période aussi où cette forme d’expression musicale s’était imposée au Sénégal avec des orchestres tels que le Star Band, du regretté Ibra Kassé du Miami, entouré de Dexter Johnson, Amara Touré, Lynx et des autres, du Guinéa Jazz, du Cayor Rythmes, du Star Jazz et du Sabor de Saint-Louis.
La musique sénégalaise de variétés devait être fille de celle de Cuba, ou ne serait pas, à ce qu’il semblait ! Et Labah qui avait fait ses premiers pas dans son pays natal, la Gambie, avec un orchestre local (ce devait être le Negro Band ou quelque chose comme ça) avait peut-être trouvé son modèle : le vieil Abelardo Barroso : une voix mélodieuse et pénétrante, tout aussi nasillarde. Il est donc naturel qu’il ait repris, au cours de son compagnonnage avec Dexter Johnson, au dancing
A l’Etoile, En Guanatanamo, et les fameux El Manisero et La Guantanamera qui, depuis longtemps, avaient fait le tour du monde et dont le succès se mesure encore à l’aune des multiples versions et du nombre de leurs interprètes. Cela ne l’avait pas empêché de chanter en wolof : Seyni, puis Aminata. L’histoire de ces deux chansons a été récemment révélée au public quand la vraie Seyni - qui vit à Ouakam et s’est remariée avec le virtuose Bass Lô - est apparue sur 2STV. Une histoire d’amour, somme toute platonique mais contrarié, entre un jeune musicien et la collégienne d’alors. Et Aminata, découlait de ce dépit amoureux. Une prestigieuse carrière internationale attendait Laba.
Elle a commencé en Abidjan - il y a connu la gloire. Elle a été compromise par son inconstance, disait-on en Côte d’Ivoire : les contrats non respectés, la désinvolture de l’homme. Il a quand même frayé avec les salseros new-yorkais comme Monguito. Son heure de gloire était ainsi arrivée ; il fut le premier Disque d’or africains ! Sa rencontre avec le monumental Orquesta Aragon donna une production avec des titres africains comme Thérèse Akonguin, Diarabi. Retour définitif à Dakar. Il rebondit ensuite aux côtés du maestro Alassane Ngom. Une véritable renaissance ! C’étaient peut-être les interprétations les plus brillantes de ce chanteur plein de ressources. Avec beaucoup de naturel, Laba y a inventé des vocables et ciselé des refrains immortels : Tilin, Tilin, puis Langa-Langa (dans le morceau La Bamba).
Il y a, en plus, son colloque avec la guitare d’Alassane, qui se prolonge plus loin en course-poursuite, une sorte de folâtrerie entre cette voix et ces notes claires de l’instrument à cordes. C’était dans la pure tradition du son cubano. Alassane n’y jouait pas la guitare tres, mais l’orchestre se résumait à quelques instrumentistes, comme pour égayer les soirées festives, à Cuba, des ouvriers rouleurs de puro (cigare cubain). C’était un homme généreux et sans problème. Il était très élégant. Ses pas de danse étaient inimitables. Ces dernières années, on le savait malade. Il a effectué des séjours à l’hôpital et en clinique.
Il a lancé des appels à l’aide, quand il a senti ses forces l’abandonner. Sénégambien dans l’âme, il s’était retiré dans son royaume dont il ne sortait que de temps à autre : La bohème. Un monde de précarité dont le territoire se limitait au quartier dakarois de Rebeuss. C’était son choix. Respectons-le et ne nous lassons jamais d’écouter Seyni, Aminata, Maria Helena, La Bamba, Ini coco, tous ses chefs-d’œuvre impérissables.
Source: Le Soleil
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