Senegal: Génération portable

En une décennie, près de 3 millions de Sénégalais ont fait du téléphone mobile leur plus fidèle compagnon. Le portable a séduit dans les villes comme dans les campagnes.

Le succès a certes de quoi satisfaire les deux opérateurs de téléphonie mobile que sont Sonatel Orange, filiale de France Télécom, et Sentel, du groupe Millicom International Cellular, qui opère désormais sous la marque commerciale Tigo.

Fin 2006, Orange comptabilisait 2 086 914 clients, s’attribuant 75 % du marché, pour une population de 12 millions d’habitants. Mais le GSM fait avant tout le bonheur d’au moins un Sénégalais sur quatre, toutes catégories sociales confondues.

Les portables tintinnabulent dans les lieux les plus insolites aux moments les plus incongrus. À ceci s’ajoute l’excentricité de certaines sonneries. Du chant de coq strident à l’air de rock endiablé en passant par les chants religieux passionnés, il y en a pour tous les goûts… Outil de communication ou gadget dernier cri, dans tous les cas, le mobile est devenu indispensable. Sans lui, tout s’arrête. Ou presque. Fatou Mbengue, la quarantaine, est commerçante. Elle vend des vêtements et des accessoires pour enfants au marché de Grand-Yoff, un quartier populaire de Dakar. Elle n’a pas été longtemps à l’école, mais cela ne l’empêche nullement de manipuler savamment son téléphone pour en tirer le meilleur parti : « Grâce à lui, je fais de bonnes affaires. J’appelle mes clients importants dès que j’ai de nouveaux arrivages de marchandise, et je reçois aussi beaucoup de commandes. »

Même si cela représente une dépense importante, elle veille à ce que le service ne soit jamais interrompu : « Dès que je dispose d’un peu de liquide, j’achète des cartes de rechargement. Le plus souvent, je choisis celles de 1 000 F CFA (1,50 euro). Les autres, à 5 000 F CFA ou 10 000 F CFA, sont un peu chères pour moi. Dans tous les cas, je mets toujours du crédit, car le portable me permet de régler beaucoup de choses sans me déplacer. Je l’ai toujours avec moi. »

Vendeur de grillades « haoussa », Ousmane Garba, 33 ans, a lui aussi toujours son téléphone à portée de main, juste assez loin de son feu de bois pour qu’il ne lui arrive rien. « Récemment, j’ai acheté un appareil à 30 000 F CFA. Non seulement ça me permet de faire marcher mon business, et en plus, ma famille qui est au Niger peut m’appeler quand elle le souhaite. » Ousmane veut être joignable à tout moment par les amateurs de viande de mouton rôtie sur la braise. Même s’il n’est pas encore businessman, Mohamed Guèye, 21 ans, étudiant en commerce international, ne peut pas, non plus, se passer de son téléphone. Il est « accro » aux SMS. Malgré ses maigres moyens, il lui arrive de dépenser 1 000 F CFA par jour pour envoyer plus de cinquante messages à ses amis à Dakar et à ses correspondants à l’étranger.

Pour avoir un modèle dernier cri, il se dit prêt à mettre jusqu’à 200 000 F CFA. « Pour moi, le design, c’est important. Un téléphone, ça doit être beau. J’aime également avoir de nombreuses options, car je surfe et je joue sur le Net à partir de mon mobile. Franchement je suis content de faire partie de cette “génération portable”, car ça fait cool et c’est hyperpratique. Je ne peux absolument pas imaginer ma vie sans mon portable ».

Le mobile trouve une autre utilité pour Sokhna Diouf, 24 ans, employée de maison originaire de Mbour, à environ 100 km au sud de la capitale. « Je vis seule à Dakar avec ma sœur. Il y a un an, nous avons eu un peu d’argent et nous avons acheté un téléphone d’occasion pour permettre à notre famille de prendre des nouvelles à tout moment.

Pour nos parents, c’est plus rassurant. Pour nos employeurs aussi car quand on est en retard ou qu’on s’absente, ils peuvent nous appeler pour savoir ce qui se passe. Nous avons payé l’appareil 25 000 F CFA, ce qui représente un mois de salaire. Mais ça vaut vraiment le coup. Ma sœur et moi, nous le gardons à tour de rôle en attendant de pouvoir nous en procurer un autre. » Lorsque la téléphonie mobile a été introduite au Sénégal en 1997 par la Sonatel, seuls quelques officiels, des hommes d’affaires et des artistes connus possédaient des portables. Le coût élevé des abonnements (autour de 20 000 F CFA) et des communications (environ 300 F CFA la minute) limitait considérablement le nombre d’utilisateurs.

Le lancement des cartes prépayées et les campagnes de communication agressives de Sonatel Alizé (devenue Orange en 2006), suivies des celles de Sentel Hello (rebaptisé Tigo en 2005) ont fini par porter leurs fruits : la clientèle s’est diversifiée et les prix ont baissé. Mais l’affaire reste rentable. En 2006, le chiffre d’affaires de Sonatel a progressé de 24,7 % par rapport à 2005, l’activité de téléphonie mobile étant responsable à 87 % de cette progression. Depuis l’arrivée en 1999 de Sentel sur le marché sénégalais, l’implantation d’un troisième opérateur GSM est régulièrement annoncée par les autorités. En avril dernier, elles ont évoqué l’installation éventuelle du groupe saoudien Saudi Binladen. Des sociétés chinoises et suisses ont également manifesté leur intérêt. En attendant ce nouveau concurrent, Orange et Tigo multiplient les offensives commerciales pour renforcer leurs positions sur le marché.

Source: Jeune Afrique

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