Pas d'eau ni de case de sante, les femmes qui vieillissent tot, les hommes qui cherchent epouses desesperement: "Thjila" un village fantome

Il est 11 heures. Un ciel voilé s’abat sur la bourgade de Thjila, située à 10 kilomètres de la commune de Linguère. Enfouie dans un des bas-fonds du Ferlo, la localité est un océan de tristesses, où tous les regards sont rouges.

A l’intérieur du village, le décor est simple: d’un côté, des moutons, des chèvres, et des vaches, assoiffés, attendent l’hypothétique corvée d’eau des femmes. De l’autre, des ménagères aux paupières lourdes du fait d’une nuit blanche passée autour de l’unique puits, vieux de plusieurs siècles.

«Nous souffrons en douce depuis plusieurs dizaines d’années. Non seulement, toutes les promesses que nous avait faites le régime socialiste ont fondu comme beurre au soleil, mais aussi, le pouvoir de l’Alternance fait montre d’une indifférence totale envers les maux qui nous étouffent», s’offusque El Hadj Malick Sylla, 84 ans. Et d’ajouter : «les femmes passent l’essentiel de leur temps autour du puits qui a été foré par l’ancien bourba du Djolof, Alboury Ndiaye. Elles quittent nuitamment leurs domiciles pour se disputer une place de premier rang autour du puits, avec la perspective hasardeuse, de rentrer chez elles avec une bassine d’eau».

Derrière le trémolo de sa voix, il éprouve de la peine à comprendre pourquoi Maguette Lô, Daouda Sow, Djibo Leyti Kâ, et Habib Sy, des fils du Djolof, qui occupent ou ont eu à occuper des postes dans les plus hautes sphères de l’Etat, n’ont rien tenté pour abréger les souffrances des populations. «Pourtant, nous leur avons toujours fait part de notre principale doléance qui est le liquide précieux», disent-ils.

Les jeunes cherchent désespérément femmes
Face à ce manque du liquide précieux, un autre problème vient se greffer à ceux confrontés par les jeunes. Moussa Ndiaye, 26 ans, se désole que «les jeunes du village sont désormais dans l’impossibilité de trouver des femmes dans les autres localités du département de Linguère, car, il suffit qu’ils déclinent le nom de leur village, pour que les parents, qui connaissent les réalités du milieu, refusent de donner leurs filles en mariage». Pour lui, «c’est certes écoeurant, mais nous comprenons le refus de certains parents d’accorder la main de leurs filles à nos enfants, parce que les ménagères de Thiyla, qui broient du noir pour avoir de l’eau, vieillissent avant l’âge».

Un avis largement partagé par Ousmane Sylla : «je plains les jeunes hommes qui désirent trouver une douce moitié, car, non seulement ils ne trouveront pas chaussures à leurs pieds parce que c’est une denrée de plus en plus rare, mais aussi dans les villages environnants, aucune fille ne se hasarde plus de se marier avec les jeunes de Thjila», martèle-t-il. D’ailleurs, révèle Ousmane Sylla, «au moment de trouver une seconde femme parce que la première était épuisée par la quête effrénée de l’eau, j’ai souffert le martyr, avant de l’avoir. Je suis allé voir trois filles, mais la seule raison de leur refus a toujours été le manque d’eau dans notre localité».

Toutefois, les hommes ne sont pas les seules victimes du manque d’eau. Le regard hagard, Aïda Bâ, mère de deux enfants, semble plongée dans de sombres pensées. A 23 ans, la ménagère très éprouvée en paraît 20 de plus. Teint noir, visage poussiéreux et crispé, elle formule l’unique prière de la localité : «de grâce, que les autorités nous viennent en aide, nous ne connaissons pas le bonheur, car, du matin au soir, nous sommes au puits». Et, pour convaincre son interlocuteur, Aïda Bâ exhibe ses mains, dont la rugosité est suffisamment éloquente sur le travail de titan qu’elle abat pour avoir du liquide précieux.

Un kilomètre pour trouver de l’eau
Pour sa coépouse Aby Guèye, «trouver de l’eau pour le cheptel relève d’un casse-tête quotidien pour toutes les femmes, dont les maris sont des éleveurs. Ce qui est plus difficile, c’est que nous faisons un kilomètre pour rallier le puits, et un autre kilomètre pour regagner nos domiciles. «Imaginez nos souffrances, si nous devons faire la navette quotidienne pour avoir des bassines d’eau». Du coup, dit-elle, «étranglées par un calvaire collectif, nous n’avons pas le temps de mener une quelconque activité génératrice de revenus».

Pourtant, selon El Hadj Malick Sylla, les fils du terroir établis en Europe, qui s’étaient cotisés, avaient acheté des tuyaux et payé la main d’œuvre des ouvriers chargés de creuser les branchements pour obtenir de l’eau à partir du village de Warkhokh. Malheureusement, en dépit de leurs efforts, non seulement la bassine d’eau nous est vendue à 10 francs, mais aussi, le débit très lent ne permet pas de ravitailler les populations en quantité suffisante. Pis, la plupart du temps, la borne fontaine tombe en panne, et les ménagères ont préféré lui tourner le dos au profit du puits».

Faute de structure sanitaire, les femmes accouchent à l’air libre
Le manque d’eau n’est que la partie visible des maux du village. En effet, privées du moindre moulin à mil, les femmes sont obligées de piler quotidiennement le mil, et de faire trois kilomètres pour le mouler à Warkhokh. Par ailleurs, elles vivent un vrai calvaire lors de leur accouchement. «Convoyées à bord de charrettes, pour rallier la commune de Linguère, les femmes accouchent souvent en cours de route, car, la case de santé du village est fermée depuis de longue date faute d’agent». Un bébé âgé d’environ six mois entre les mains, Aïda Bâ garde encore vivace dans sa mémoire ses affres lors de la venue au monde de son enfant.

«Ce jour-là, j’ai accouché dans le véhicule de transport, qui m’emmenait au district sanitaire de Linguère. Mais ce qui est déplorable, c’est qu’il y avait d’autres passagers, dont des hommes dans la voiture», regrette-t-elle. Alors qu’elle cherche les mots justes pour raconter sa mésaventure, Bousso Sylla, 30 ans, arrache le micro. «Vous avez la chance de tomber sur un véhicule. A l’instar de la plupart des femmes du village, j’ai été convoyée à Linguère à l’aide d’une charrette. D’ailleurs, j’en connais trois d’entre elles, qui ont accouché en pleine route, et elles n’avaient que le cocher et un autre membre de leurs familles pour les assister», narre-t-elle.

Source: L'As

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