Le Sénégal est une grande prison

« England is a bitch

There is no escape in it »

Ces paroles de Linton Kwesi Johnson, poète et musicien jamaïcain, comparant la vieille Angleterre à une pute, nous reviennent comme un leitmotiv. Et le parallélisme avec le Sénégal nous tente. Mais si dans le premier cas la formule poétique l’emporte sur le poids des mots, au Sénégal, la réalité ne permet point un jeu de style rêveur.

Depuis plus d’une décennie, le plus grand souhait des jeunes sénégalais et même des moins jeunes, est de sortir du pays pour rejoindre l’eldorado européen.

Ce désir d’exil s’est tellement accentué ces cinq dernières années que les candidats à l’émigration sont prêts à donner de leur vie pour le satisfaire. C’est ainsi que, face au refus presque systématique de délivrer des visas aux nombreux demandeurs qui font quotidiennement la queue devant les consulats occidentaux, et moyennant s’il vous plait espèces sonnantes et trébuchantes, les jeunes se sont rappelés que la mer, loin d’être une muraille infranchissable, est, au contraire, un énorme espace de liberté, comme devrait l’être la planète terre entière.

Nul besoin, ici, de nous appesantir sur les détails du phénomène de l’émigration clandestine. Une littérature abondante, certes souvent hypocrite, existe sur le sujet. Pour juguler ce fléau des temps modernes, les pays d’accueil ont, en collaboration avec nos dirigeants, déployé des moyens colossaux, pour n’arriver qu’à ralentir temporairement le phénomène.

Si les milliards dépensés pour la surveillance des eaux et des frontières occidentales avaient été intelligemment et sur une longue période investis dans des projets de développement qui occuperaient sainement les populations, on n’en serait sûrement pas à la situation catastrophique actuelle. Mais, devant l’urgence, les dirigeants occidentaux ont préféré négocier avec nos autorités, sur le dos des citoyens, la répression des candidats à l’émigration, contre des sommes d’argent énormes dont les populations ne sentiront jamais l’odeur.

Lors du troisième forum annuel de la Renaissance Africaine des Femmes de l’Afrique de l’Ouest (RAFAO), le 30 Juillet dernier au Meridien Président de Dakar, Me Wade disait ceci : « Si tous les jeunes décident de partir, nous les ferons revenir. Qui construira l’Afrique si tous les jeunes quittent le continent à la recherche des pâturages plus verts ? On n’admettra pas cela … » S’ensuivit un nouveau réquisitoire contre nos bonnes mères qui pousseraient leurs enfants à la quête de la fortune. Les sénégalais qui ont l’habitude d’écouter leur président savent qu’un tel discours est destiné à une consommation extérieure. C’est un atout pour s’attirer les faveurs des Sarkozy qui se barricadent pour mieux jouir de leurs nouvelles richesses.

Tellement vrai, que les sénégalais n’éprouvent même pas le besoin de polémiquer lorsqu’on interpelle ainsi leurs sacrées génitrices. C’est d’ailleurs souvent le cas lorsque Wade choisit de parler dans un français senghorien ; alors qu’un wolof succulent, lui permettant tous les abus, est utilisé à chaque fois qu’il veut toucher les populations locales. Le dernier exemple est donné lors de son show télévisé alors qu’il recevait Omar Sarr et ses frères du parti Rewmi de Idrissa Seck. Aucune version française de ce spectacle n’existe. Ce qui permet un black out des médias extérieurs.

Ce que nos dirigeants feignent d’ignorer, c’est que les raisons économiques traditionnelles ne sont plus les seules causes de l’émigration. Il ne fait plus bon vivre au Sénégal. Tout simplement !

C’est le cadre de vie dans son ensemble qui se dégrade de jour en jour. Vivre au Sénégal, c’est subir des pressions sournoises de toutes sortes. Visibles ou non. Comme tous les citoyens du monde, les sénégalais veulent vivre dans un pays où le minimum vital leur est garanti, loin des ruptures de stock et d’une inflation agressive. Ils veulent respirer de l’air pur et s’éloigner des ordures et des immondices. Ils veulent, le soir regarder une télévision libre non confisquée, qui leur renvoie l’image des réalités et des diversités locales. Ils veulent que seul le travail et le mérite soient les causes de promotion. Que les chances soient égales.

On pourrait citer l’état de notre démocratie, une situation politique tendue en permanence, une image peu reluisante de la justice, une gestion théâtrale et enfantine du sport …. Tous les clignotants sont au rouge vif et même l’espoir né de l’alternance nous a depuis longtemps quittés.

Des visas impossibles à obtenir, un voyage qui vous coûterait les yeux de la tête, une police à nos trousses, disions nous … Plusieurs forces centrifuges nous contraignent à rester tranquillement chez nous et à vivre nos misères, la mort dans l’âme. Alors que toutes les forces centripètes nous appellent à quitter les ténèbres pour respirer un air plus clément. C’est un droit universel de l’homme.

Nous voulons bien construire notre pays, mais avec quoi ? Qui a encore la force d’attendre que se réalisent les grands projets de l’Etat, ou que les chemins de fer s’écartent suffisamment ?

Parlant des ténèbres, les délestages de la Senelec sont déjà un motif suffisant pour se tailler.

Pourquoi nous, homo senegalensis, devrions nous subir dans la douleur quotidienne les supplices d’un système qui a montré ses limites objectives ?

C’est Wade qui disait aussi, recevant la délégation de Rewmi « ñun da ñuy ligueey, bess bu nek ngeen guiss… (nous on travaille, vous voyez les résultats tous les jours). Monsieur le Président « ñun guissou ñu dara » (nous n’avons rien vu). Et nous vous disons, excellence, à vous et à Sarkozy, que nous irons voir ailleurs. Par les airs, par la route ou par la mer, nous irons voir ailleurs. Dans des calebasses, s’il le faut, aidés de nos seuls bras pour ramer. « On n’arréte pas la mers avec ses bras » avez-vous coutume de dire, et c’est vrai. Nous ajoutons que même la mer ne pourra arrêter ces bras.

Source: Ibou Dia CISSE - Infosen

1 commentaire:

Anonyme a dit…

C'est trop triste

 
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