Tabaski: C’est la fête au village !

Jour J moins un ou deux. C’est selon. La fête de la Tabaski approche. Au fil des heures. Les esprits sont en fête. Si pour d’aucuns, le casse-tête se pose en termes de moutons ou d’habits, pour d’autres, le grand problème se résume à «comment acheminer au village les produits achetés par ci, par là et accumulés depuis la dernière Tabaski». Reportage

En effet, la Tabaski est l’occasion rêvée et choisie par beaucoup de «ruraux» pour un retour en grandes pompes au bercail. C’est aussi le moment idéal pour convoyer les meubles, moutons et même du … pain. Pendant ce temps, les métèques, eux, restent, obligés qu’ils sont d’être cloués à Dakar parce que ne sachant où aller.

Un car transportant une chambre à coucher complète? Ahurissant mais bien réel. Il faut juste se pincer pour y croire. Ce n’est pas pour un déménagement. Bien au contraire ! C’est «l’exode urbain» version Tabaski vers les milieux ruraux. Un retour «temporaire» aux sources le temps de fêter la Tabaski auprès des siens. Le charme pittoresque du terroir originel (Jolof, Fuuta, Kajoor, Baol, Njambur, Saloum, Siine… etc.) rejaillit dans toute sa quintessence. Au garage de Colobane, entre le tohu-bohu des cars de transport, le vacarme des marchands et le vrombissement des moteurs de voitures, l’atmosphère est plutôt festive. Les citadins, l’esprit occupé sûrement par les préparatifs de la fête et les multiples dépenses occasionnées vaquent, songeurs, à leurs occupations.

Çà et là des cars sont stationnés attendant une potentielle clientèle. Chose qui ne manque pas en cette période de fête. Des clients qui pour la plupart se meuvent avec tout un arsenal. Plus hétéroclite et plus cocasse les uns que les autres. En passant du pain communément appelé «fagadaga» ( pain avachi) aux meubles - Oui, vous avez bien lu : meubles -, et des moutons accompagnés de leurs assortiments (oignons, pommes de terre et légumes) pour la cuisson, tout y passe. Sur les porte-bagages des bus, on en voit de tous les objets hétéroclites bizarres. Tables, chaises et moutons sont entassés pêle-mêle. Recouverts d’un filet, ils prennent leur mal en patience attendant le signal de départ.

Tranquillement installés dans le bus ou dans le car, c’est selon, les passagers effectuent leurs derniers achats. C’est l’occasion aussi pour les «bitiku mbagg » (marchands ambulants d’occasion) de se remplir les poches. Cartons en main, ils proposent des articles divers allant des lunettes de soleil au parfum, barrettes ou encore crèmes pour le corps. Toutes ces petites choses et artifices susceptibles de se vendre en un tour de main. Les fruits aussi trouvent preneurs. Histoire de calmer les ventres de ces voyageurs de la Tabaski. Et, comme qui dit Tabaski dit forcément grillades, les couteaux et le matériel pour la grillade s’écoulent aussi comme des petits pains. Comme pour aller à la guerre, chacun s’arme de son mieux.

Pendant que les campagnards s’en vont …
C’est à se demander si Dakar ne sera pas dépeuplé, en cette veille de Tabaski. En tout cas, rien qu’à voir les véhicules de transport dans les différents garages, on serait tenté de le penser. Des bus, des cars, des mini cars, des voitures 7 places et même d’autres qui se sont improvisés en moyens de transport interurbains pour ramener les campagnards dans leurs villages natals, monnayant des prix pour le moins abordables. Waly Faye cet apprenti chauffeur à la gare de Colobane, occupé à ramasser l’argent du ticket, nous apprend que tous les jours ils font le trajet Dakar/ Djilor (communauté rurale de Fatick) plusieurs fois. «Les clients ne manquent pas. Quelquefois même, il arrive qu’on dise non à certains. Et cela va redoubler dans les prochains jours.

En plus, les prix ne sont pas chers, ils varient entre 1000 et 1500 Fcfa», explique t-il, la mine avenante. Adossée à un arbre, un bébé à la main, cette dame visiblement impatiente de prendre le départ montre quelques signes de fatigue. Normal, car, nous renseigne-t-elle dans l’anonymat, elle est là depuis 9h. Malheureusement, elle a raté le bus qui partait, donc elle était obligée d’attendre le prochain. Jetant de temps à autre des coups d’œil furtifs sur les sacs de pommes de terre et d’ognons à ses côtés, la femme poursuit : « Ce n’est qu’à la Tabaski que je peux aller voir ma famille au village. Je suis employée comme domestique dans une maison en ville où je travaille à plein temps. Une partie de mes gains vont dans les préparatifs de la fête.

J’ai fait un marché assez consistant pour mes parents : des pommes de terre, des oignons, du pain, des épices et quelques petits cadeaux pour les enfants. Si certains pensent à la ration alimentaire de leurs familles, d’autres quant à eux s’intéressent plus au mobilier. Eh oui! Tabaski oblige. Les meubles font partie de la fête. Les villageois, en bons fils, rapportent à leurs parents des meubles en tout genre : lits, canapés, chaises et tables, rien n’est oublié. C’est le cas de ce jeune homme qui s’attelait à charger ses bagages sur le toit du bus. Sur un ton presque plaisant, Seydou (de son petit nom) nous avoue : «C’est une fierté pour moi que de rentrer à Lambaay pour les fêtes de la Tabaski, en sachant que je ramène des meubles à mes parents qui sont vieux maintenant.

Comme cela, ils sauront que je ne perds pas mon temps à Dakar». Idem pour Ndiolé Faye cette ressortissante de Fatick, les préoccupations sont les mêmes : faire honneur à leurs parents en offrant, entre autres gestes, de petits présents aux voisins qui manquent de moyens. Si l’engouement festif de la Tabaski se résume pour certains au paraître et au mouton, il est avéré que pour les ruraux c’est le retour au bercail qui prime. Et pas n’importe comment, mais plutôt avec des étrennes bien « duuf». Comme qui dirait c’est la fête au village !!!

…Les métèques restent à Dakar
Pendant que Dakar libère ses ruraux, les métèques, eux, restent. Ce n’est pas parce qu’ils ne veulent pas aller changer un peu d’air. C’est parce qu’ils n’ont nulle part où aller parce qu’étant nés et ayant grandi à Dakar bien qu’ils aient des racines «rurales ». Sylvie Fall, une jeune demoiselle rencontrée au marché Tilène alors qu’elle faisait quelques achats, en est une parfaite illustration. Habillée d’un pantalon Jean moulant, roulant des «r» et susurrant des «s», elle se définit comme une « boy town », une dakaroise pure souche. «Je suis née et j’ai grandi à Dakar. Je ne connais aucun autre endroit que Dakar. Donc je ne peux pas aller fêter la Tabaski ailleurs ». Pourtant, avec son allure un peu sophistiquée, elle a des racines rurales. «Il paraît que mes grands parents sont originaires d’un village près de Koumpentoum.

Il s’était installé à Dakar et a fondé un foyer. Mon père est ainsi né à Dakar. Nous aussi. Ce grand père étant mort bien avant notre naissance, j’avoue que je ne connais pas son village ». Même son de cloche pour Bigué Ciss, cette étudiante, qui, comme Sylvie Fall, est clouée à Dakar parce qu’étant une «dakaroise». Elle habite à Pikine Khourounar où elle est née et a grandi. Ses parents sont originaires de Thilmakha Mbakol, une bourgade non loin de Ngaaye Mékhé. Mais elle, non plus, ne connaît pas le terroir de ses aïeux. « Je pense que je ne pourrais jamais vivre dans ces zones. Moi je ne connais que Dakar et je ne peux évoluer nulle part qu’à Dakar».

NB: « duuf » : mot wolof signifiant étymologiquement qui a de la chair, qui est dodu et par extension qui est consistant.

Source: L'Observateur

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