Senegal: La religion infiltre le discours rap

L’heure n’est plus dans le Hip-Hop «galsen» aux contestations et aux discours incendiaires. Il y a un nouveau son dans l’air et ça chante Dieu. Les rappeurs deviennent des prêcheurs et appellent le public à retourner vers Dieu. Bill Diakhou s’impatiente. Le soleil l’accable comme l’agacent les interminables discours des progressistes qui l’ont convié ce jour à Louga pour «alléger» les travaux de la commémoration de l’appel du 16 juin.

Il attend nerveusement dans son véhicule. Le rappeur fuit apparemment ces curieux qui savent si bien s’exciter autour des célébrités pour le plaisir d’alimenter la popote devant la théière. Lui reste concentré, les mains sur le volant de la voiture immobile, ruminant sa montée imminente sur le podium. C’est qu’il a vraiment du pain sur la planche, l’ami Bill ! Le public qu’il doit bientôt réchauffer est si mou et si ignorant ! Que savent du rap ces adultes, pour la plupart des femmes, fièrement sanglées dans leurs habits colorés, promptes à réagir aux tam-tams comme on le voit dans les meetings politiques ? La foule de cette matinée politique est tellement différente du public Hip-Hop dont les jeunes, allergiques aux sonorités du mbalakh, se balancent aisément sous de gros jeans, tee-shirts méga ample et autres bling-bling.

Bil Diakhou comprend tout cela et il doit être à la hauteur. Mais pour sûr, les politiciens ne l’ont pas convié pour rien… Lui le rappeur «social», contesté par ses pairs qui font dans le hard cord, n’a aucun problème à séduire son public du jour. L’accueil est pourtant timide. Mais, il psalmodie d’entrée : «Touba ! Layén ou Tiwaoune ; Médina Baye ! Ndiassane ou Thiénaba, lève la main si tu es mouride, tidjane ou khadre !» La foule est happée, elle mort à l’hameçon et réagit en levant des mains en l’air. Toute un chacun se sent interpellé, car la fibre religieuse accroche. L’artiste insiste et entonne des textes connus du public qui reprend les refrains sans difficulté pour l’avoir sans doute maintes fois répété dans les rencontres religieuses. Ensemble, ils revisitent l’épopée des guides religieux du pays. Chacun y trouve son… marabout. Tout le monde est content. Bill est aux anges. L’assistance dans l’extase. Mais les orthodoxes du Hip-Hop rouspètent.

Les quelques fans de rap, de jeunes gens qui se sont rapprochés à l’annonce de la montée sur scène de l’artiste, sont restés, en effet, sur leur faim. Le paradoxe entre les affûtiaux du rappeur et son discours populiste plombe l’ardeur des jeunes fans. Jeans et tee-shirt amples, casquettes orientées à 9 heures comme un bon rappeur américain, le «phrasé» de Bill Diakhou et le contenu de son texte rappellent les grands chanteurs religieux.

Cette prestation de Bill Diakhou est pourtant loin d’être une improvisation pour s’accommoder aux exigences d’un public ponctuel. En réalité, le rappeur balbutie dans un style nouveau, une nouvelle tendance dans le Hip-Hop. Depuis la sortie du single du groupe Daara J, intitulé Alah en 2003, où les envolées de Nongo D sont coupées par un refrain fredonné par Faada Frady avec sa voie mélodieuse, «God is one», le discours religieux envahit le rap local.

C’est vrai que l’Underground, ce genre de rappeur consacré par le Rapadio depuis 1998, est toujours coté et prisé par nombre de jeunes débutants. Il est vrai aussi que des célébrités comme Fata, ex-membre du groupe Cbv, excellent avec succès dans l’Ego trip et le bling-bling. Il est tout autant vrai, également, que des rappeurs comme Daddy Bibson font toujours dans le clash. Mais aujourd’hui, la spiritualité obnubile les rappeurs. Le retour à la religion a pris le pas sur la contestation et la remise en cause du système. C’est comme si, de la dénonciation, ils sont passés à la résignation. Le discours virulent devient spirituel.

Il faut voir l’accoutrement de Carlou D avec son déguisement «mouride» lors de ses prestations au Just4U, où les derniers clips de Daddy Bibson pour s’en convaincre. Du «soldat de la rue» qu’il se veut, Daddy Bibson est passé au «soldat de Baye Niass». Il vit aujourd’hui au quartier Fadia dans la banlieue dakaroise. Chez lui, une fresque du guide religieux Cheikh Ibrahima Niass décore le mur du couloir de l’appartement où se trouve également son mini studio : une minuscule pièce décorée par des affiches de son album avec Khouman, «les frères ennemis», une autre image de son marabout, un ordinateur, une table de mixage, un petit clavier… Sur le seul canapé du studio, Bibson se réajuste et écarquille les yeux quand on lui demande s’il est un rappeur ou un prêcheur. Il se défend : «Je suis plus qu’un soldat, un commando. C’est vrai qu’on connaissait Bibson plus dans la contestation, le clash…, mais aujourd’hui, j’ai une autre mission. J’appelle les jeunes à retourner vers Dieu pour essayer de mieux le connaître. Dans mes derniers albums, je parle beaucoup de Dieu et du Cheikh. C’est que je suis un missionnaire.»

Les mollahs du Hip-hop
Dans ses précédentes productions, le rappeur s’érige en «prophète» et prétend être l’envoyé du Faydou, terme qui désigne, en langage soufi, une résurgence de connaissances intarissables. Disciple de la famille tidjane de Médina Baye à Kaolack, Cheikh Coly (c’est son vrai nom) se particularise par ses appels répétés à «la connaissance de Dieu». Pour lui, «c’est un fardeau. On ne peut adorer convenablement le Bon Dieu si on ne Le connaît pas. Je montre à mes fans qu’on peut être jeune et s’adonner à Dieu au lieu de passer son temps à prendre de l’alcool ou de détruire sa vie dans la drogue ou l’agression». C’est pourquoi, il a fait de la spiritualité un créneau. Aujourd’hui, il traîne l’image du Mollah rappeur. C’est pourquoi, également, semble-t-il, les textes de Maxi Crazy sont profonds.

Amadou Aw, de son vrai nom, est une autre personnalité du Hip-Hop ayant largement contribué au beau jour de certains genres comme le Free style et l’Ego trip. Avec Bibson, il partage le micro, «l’amour de Baye Niasse» et le même maître spirituel, Cheikh Mamoun Insa qui revient souvent dans leur texte. Seulement, Maxi est moins fougueux et son propos moins engagé. Mais tous les deux revendiquent «le même combat». Dans son dernier album, le morceau fétiche intitulé Baye your side est consacré à son marabout à qui il demande la force d’exceller dans la vulgarisation du message divin. «Nous voulons vulgariser l’enseignement de Baye Niass, montrer à travers le monde l’œuvre de cet africain qui a parcouru le monde pour apporter une image positive de l’Islam fondée sur l’amour et la connaissance», dit-il avec une conviction non feinte.

Quoi qu’il en soit, le constat est là : Le rap, jadis contestataire et rebelle, épouse de plus en plus la religion. Les milieux réputés être des temples d’Epicure où les jeunes, abandonnés par des parents eux-mêmes martyrisés par la conjoncture, bravent à longueur de journée les interdits s’ils ne noient pas leur désespoir dans l’alcool ou la drogue, sont devenus des espaces d’échanges sur la religion. La nouvelle tendance dans le Hip hop ne se limite pas seulement dans les textes. «C’est un vécu quotidien dans l’acte et la pensée.» Dans tous les coins et recoins fréquentés par les rappeurs, il n’y a que Dieu dans le discours. Avec un nouveau jargon inconnu jusqu’ici dans le milieu. Un champ lexical de mosquée : on parle de Hadra pour désigner les séances de Zikr hebdomadaire, de Wazifa de Wird, etc.

Les espaces Hip-hop comme à la Mosquée
C’est le cas chez les frères rappeurs du groupe Bidew bou bess. Dans une villa quelconque du quartier Zone B, des lycéennes arrivent en même temps qu’un membre du groupe, Baidy. Ils se saluent entre Sokhna-ci»et Serigne-bi, parlent du prochain dahira et d’un ami commun qui a pris dernièrement le Zikr. Quelques instants plus tard, ils se retrouvent tous dans le hall de la villa qui sert de pré-salon. Les filles sont voilées. D’après Baïdy, elles ont toutes pris le Wird tidjane quand elles ont commencé à les fréquenter.

Pourtant, Baïdy, contrairement à Daddy Bibson, ne se sent pas investi d’une quelconque mission. Pour lui, quand il chante Allah, c’est juste une manière de lui rendre grâce en le remerciant. Tout comme quand il parle de son marabout dans ses textes. Si la plupart des rappeurs prêchent pour leur confrérie comme Carlou D qui emprunte souvent le caftan mouride quand il monte sur scène, Bill Diakhou, lui, préfère parler pour tout le monde. C’est un œcuméniste. «Je suis un Baye Fall, mes proches le savent ; mais dans mes textes, je ne fais pas de distinction entre les confréries. Je chante les mérites de tous les guides religieux, parce qu’ils appartiennent tous au Sénégal.» C’est le même cas pour Big D qui montre, dans son dernier clip, Serigne Touba, le Cardinal Thiandoum, Baye Niass, El Hadji Malick Sy, bref le «Sénégal de Dieu».

Source: Le Quotidien

1 commentaire:

Anonyme a dit…

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