La lutte sénégalaise sur grand écran

L’Appel des arènes, le premier long métrage du cinéaste sénégalais Cheikh A. Ndiaye, décrit l’univers d’un sport qui supplante de loin le football dans le cœur des Sénégalais : la lutte. Nalla, héros de cette fiction, guide le spectateur dans les arènes d’une discipline qui navigue entre modernité et tradition.

« Quand j’étais petit, ma maman m’emmenait souvent au cinéma et je n’hésitais pas à demander quelques pièces à ma grand-mère pour y aller, raconte Cheikh A. Ndiaye. L’amour du cinéma vient de là et en grandissant mon intérêt s’est tourné vers le cinéma d’auteur » et les documentaires. Pour sa première oeuvre de fiction, le réalisateur sénégalais est resté fidèle à ses amours. Si L’Appel des arènes reste une palpitante oeuvre de fiction, elle n’en demeure pas moins une photographie exceptionnelle de la lutte sénégalaise, la passion de tout un pays.

Dans la note d’intention, vous expliquez que vous avez toujours voulu faire un film sur la lutte. C’est la lecture du livre éponyme d’Aminata Sow Fall qui vous a inspiré ?
Cheikh Ndiaye : Non. Au départ, je voulais faire un documentaire. Le livre d’Aminata Sow Fall m’a plutôt fait opter pour une fiction.

L’Appel des arènes a effectivement gardé des allures de documentaire...
Cheikh A. Ndiaye : Je viens du documentaire. Mes précédentes œuvres étaient des documentaires, à part Mousso qui est un court-métrage. C’est un genre que j’affectionne beaucoup. J’avais décidé de filmer cette fiction comme un documentaire. Il y a certes une esthétique propre à la fiction, mais L’Appel des arènes se rapproche dans la forme du documentaire. J’ai souvent tourné caméra à l’épaule.

Ce sont des vraies stars de la lutte traditionnelle qui jouent dans votre film. Moustapha Gueye, alias Le Tigre de Fass, interprète André qui sera le mentor de Nalla. Un autre champion, Mohamed Ndao, plus connu sous le nom de Tyson au Sénégal, incarne le lutteur et ami d’André. Qu’est-ce qui a motivé ce choix ?

Cheikh A. Ndiaye : Au Sénégal, nous avons très peu de comédiens professionnels. On travaille souvent avec des amateurs et, pour donner la chance au film d’exister, je me suis rapproché des lutteurs professionnels, comme Tafa Gueye et Tyson, qui sont les lutteurs les plus populaires au Sénégal. Ils ont adhérés à ce projet parce que pour eux, c’était une première et une manière de faire connaître leur discipline. Par ailleurs, ce sont des comédiens amateurs qui ont les gestes techniques qui confèrent toute sa crédibilité au film.

Le personnage de Nalla est finalement le seul emprunt que vous faites au livre d’Aminata Sow Fall…
Cheikh A. Ndiaye : Nalla dans le livre a effectivement 10 ans. Je trouvais qu’il serait plus judicieux d’en faire un adolescent de 17 ans. Une mère qui laisse partir son fils de 10 ans, ça reste de la littérature. Le roman est également beaucoup plus axé sur les réticences de la mère qui estime que le milieu de la lutte n’est pas celui où elle aimerait voir évoluer son fils. Ce long métrage est une adaptation très libre de l’œuvre littéraire. Sory est également un personnage qui n’existe pas dans le livre. Il me permet d’évoquer la vie noctambule de Dakar où se déroulent les combats, de montrer le dynamisme d’une ville africaine. A travers Sory, un personnage qui gravite autour du milieu de la lutte comme de nombreux jeunes Dakarois, on comprend que tout n’est pas rose pour la jeunesse sénégalaise.

Dans les arènes, vous le montrez, il y a de nombreux rituels qui frisent parfois le folklore, notamment pendant les combats. Ils sont l’expression de la spiritualité qui imprègne la lutte traditionnelle. Les lutteurs arrivent-ils facilement à se confier sur ces aspects ?
Cheikh A. Ndiaye : Ce qui se passe dans les arènes est tel comme je l’ai décrit et ce n’est absolument pas du folklore pour les gens qui le vivent de l’intérieur. Rien n’est inventé, c’est vraiment comme cela que ça se passe. Si j’avais omis cela dans un film sur la lutte sénégalaise, je serais passé à côté de mon sujet. Il n’aurait pas reflété la réalité que les Sénégalais connaissent. Je m’étais documenté auparavant mais les lutteurs se sont confiés parce que nous avons réussi à développer des rapports sincères, ce sont des amis aujourd’hui.

La lutte sénégalaise est aussi lucrative pour les petits voyous, comme Sory, qui prennent des paris, que pour les lutteurs qui touchent d’importants cachets…
Cheikh A. Ndiaye : Comme dans tous les sports, dès qu’il y a des sponsors, les cachets augmentent. L’opérateur de téléphonie mobile Orange est l’un des sponsors officiels d’un sport plus populaire que le football au Sénégal. L’arrivée de Tyson, il y a une dizaine d’années, a également contribué à l’essor de la lutte dans notre pays. C’est quelqu’un qui est en phase avec son temps, un bon communicant qui a su vendre son image et créer une émulation autour de la lutte traditionnelle. Il y a un combat chaque dimanche au Sénégal. Pour les grands combats, les athlètes peuvent gagner aujourd’hui jusqu’à 150 000 euros. C’est énorme ! Les paris, eux, sont beaucoup moins importants. Ca n’a rien à voir avec ce qui se fait dans le monde de la boxe par exemple.

Pourquoi, selon vous, la lutte passionne autant les Sénégalais ?
Cheikh A. Ndiaye : C’est une question qu’on se pose. Mais je pense que cet engouement tient à la personnalité des lutteurs eux-mêmes qui sont arrivés à créer de la ferveur autour de leur sport. Tyson s’est quelque peu retiré des arènes depuis un an, ce qui fait polémique au Sénégal parce que je crois qu’il est à l’origine de ce dynamisme de la lutte traditionnelle. C’est un homme de spectacle qui l’a amené dans les arènes. Tyson est devenue une vraie idole au Sénégal. Son charisme a conquis les amateurs et les sponsors.

Vous évoquez aussi le rôle des griots dans tout le cérémonial qui se déroule dans les arènes. Sont-ils aussi importants dans la réalité ?
Cheikh A. Ndiaye : Le personnage de griot tel qu’il apparaît dans le film est de la fiction pure. Ce personnage m’a permis de mettre en exergue la mythologie qui existe autour de la lutte traditionnelle. Cependant, lors des combats, les griots sont présents pour célébrer les joueurs.

Vous parliez tantôt de la difficulté de trouver des acteurs professionnels au Sénégal. Qu’en est-il du cinéma dans ce pays, à part l’oeuvre de Sembène Ousmane.
Cheikh A. Ndiaye : Il n’y a pas d’industrie cinématographique au Sénégal. Il y a des initiatives de quelques réalisateurs qui ont des maisons de production, mais rien de vraiment substantiel. Il y a des années où on a des films, d’autres non. L’Etat ne soutient pas assez la culture pour permettre l’émergence d’une industrie bien que le cinéma ne se réduise pas qu’aux longs métrages. Il y a des petites productions, mais d’un point de vue professionnel, il n’y a rien. La situation ne pourra changer que si nos chefs d’Etat comprennent que la culture est un bien marchand aux caractéristiques particulières, mais un bien marchand tout de même, et qu’il est par conséquent nécessaire de soutenir la création.

D’autant que votre film est une véritable carte postale du Sénégal...
Cheikh A. Ndiaye : J’ai voulu faire un film grand public où se reconnaissent, entre autres, les Sénégalais, les Africains et qui reflètent nos réalités. Après une projection aux Etats-Unis, une Américaine m’a dit : "j’ai vu dans votre film qu’on roulait à moto chez vous". Je lui ai répondu : vous savez qu’on roule même en 4X4". Les gens imaginent souvent qu’il n’y a rien en Afrique parce que les catastrophes constituent le visage le plus connu de ce continent. De l’autre côté, il faut que les Africains se reconnaissent dans le cinéma et qu’ils y trouvent matière à fierté. Je ne souhaite pas montrer une image positive de l’Afrique, juste refléter la réalité.

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Auteur: Cheikh A. Ndiaye
Durée : 1h45mn
Sortie française : 4 juin

Source: Afrik.com

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