Promesse d'un avenir meilleur: Thiès se découvre une classe moyenne

Thiessois sont catégoriques : en dix ans, leur ville s'est métamorphosée. Des quartiers aux noms évocateurs, comme Grand-Standing ou Sud-Stade, sont récemment sortis de terre pour accueillir la nouvelle classe moyenne. Afin de répondre à ses attentes, le nombre de pharmacies et de restaurants a doublé, pour atteindre la dizaine, tandis que toutes les banques présentes au Sénégal y ont aujourd'hui une succursale.

Si elle fait encore figure d'exception dans un pays qui affiche un revenu moyen annuel par habitant de seulement 750 dollars (un peu plus de 500 euros), la classe moyenne porte néanmoins la promesse d'un avenir meilleur. Cette nouvelle donne sociale est cruciale pour le développement économique du continent. Qu'ils soient cadres dans le privé, fonctionnaires, ou encore entrepreneurs et commerçants, ce sont eux qui consomment, construisent et inscrivent leurs enfants dans des écoles privées.

Aïda Diagne est la première bénéficiaire de cette nouvelle clientèle. Tout ce que compte Thiès de représentants de la classe moyenne se donne rendez-vous chez Ndindi, sa boutique située à quelques mètres du grand marché. De 10 à 20 heures, le magasin n'est qu'un va-et-vient ininterrompu de clients. Il faut dire que chez Aïda Diagne, on trouve de tout : meubles de télévision, rouleaux de lino-léum, casseroles en Inox, tapis, vélos pour enfants, fleurs artificielles, vases, draps, vaisselle… Des cartons débordent de passoires à thé ou de pinces à linge. Tout vient de Dubai, de Turquie, d'Inde et, bien sûr, de Chine, où Aïda se rend tous les trois mois. Cette commerçante de 55 ans est une des seules femmes de Thiès à posséder un bazar aussi bien approvisionné.

Dès que tu touches un salaire fixe, tes parents, grands-parents, frères et cousins,pensent très fort à toi', explique Léopold Tamba, journaliste vedette du Groupe Walf Fadjri. Dans un pays qui compte 40 % de chômeurs, les sollicitations sont nombreuses. 'Derrière chaque salaire, il y a dix personnes'.

Nul n'est plus conscient de cette situation que Ngor Sarr. Ils ne sont pas moins de quinze à vivre sous son toit. Outre sa femme et ses six enfants, la maison de Ngor abrite un petit frère, une nièce et un cousin du village venu se faire soigner. Ils sont deux à travailler, lui, qui rapporte 850 000 francs Cfa (1 300 euros) par mois, et son épouse, institutrice dans le public, 130 000 francs Cfa (200 euros) par mois. Une fois franchi le pas de la porte, difficile de réaliser que le propriétaire de ces lieux si modestes est professeur à l'Ecole polytechnique de Thiès.

Les rares meubles sont très abîmés, les murs auraient besoin d'un coup de peinture et, hormis un petit sapin de Noël artificiel, il n'y a aucune décoration. Dans le réfrigérateur, seulement quelques légumes, du poisson et un plat de riz.

Mais à l'aune de la réalité africaine, la situation de Ngor Sarr reflète un immense progrès car la maison lui appartient. Il l'a achetée, il y a quatre ans, grâce à un prêt contracté sur quinze ans. Et il a des projets : construire une nouvelle chambre, une salle de bains et un garage pour sa voiture, une Mercedes de 1985, achetée en 2007. Par ailleurs, à l'instar de la quasi-totalité de la classe moyenne, il mise sur ses enfants, inscrits dans le privé. 'L'école publique est toujours en grève', confie ce fils d'agriculteurs. Cet enseignement haut de gamme lui revient à 60 000 francs Cfa (92 euros) par mois, avec les cours particuliers pour son aînée, qui veut devenir pilote d'avion.

Evoquer des vacances, c'est comme demander à Ngor s'il projette un voyage en famille sur la lune. Quand on parle de classe moyenne en Afrique, on ne pense évidemment pas au Club Med ou à la deuxième voiture. Beaucoup n'ont même jamais fait de tourisme dans leur propre pays. La réponse est donc précédée d'un sourire poli : 'Ce n'est pas essentiel.'

Ce que confirme Pape Diop, ex-infirmier et ophtalmologiste à l'hôpital régional de Thiès. A 49 ans, il a d'autres priorités. Ce père de quatre enfants, qui entretient deux épouses, a démarré un master en sciences de gestion à Dakar, où il se rend chaque soir avec sa voiture après le travail. C'est un investissement lourd : 1 825 000 francs Cfa (2 780 euros). Mais cet homme à l'oeil rieur, qui déborde d'optimisme, est confiant dans l'avenir : 'Avant, on était limité, mais avec la mondialisation et les nouvelles technologies, le champ des possibles est plus vaste. On mange à sa faim, on se soigne, mais j'aspire à plus. Pourquoi ne pas devenir directeur d'hôpital ou ne pas travailler dans une organisation internationale ?'

Autre caractéristique des membres de la petite bourgeoisie : ils ne se contentent pas d'une seule activité. La maison qu'a construite Madiop Diop à Dakar constitue ainsi un complément substantiel. L'immense bâtisse de 500 mètres carrés, qu'il montre grâce à une vidéo sur son téléphone portable, abrite, au rez-de-chaussée, un salon de coiffure, un cybercafé et une boutique. Au premier étage, il loue cinq appartements. L'endroit lui rapporte finalement près de 500 000 francs Cfa (762 euros) par mois, soit plus que son salaire de chef de distribution de la Société nationale d'électricité du Sénégal (Senelec) à Thiès, qui avoisine les 400 000 francs Cfa (610 euros).

Madiop Diop a mis presque vingt ans pour venir à bout de ce chantier. 'Pour accumuler un nombre suffisant de briques, il m'a déjà fallu deux ans, de 1988 à 1990, alors que j'avais acheté le terrain en 1981', raconte cet homme de 52 ans, qui a débuté comme ouvrier à la Senelec avant de gravir les échelons grâce à la formation interne.

Greffier, Papa Sidi Lô arrondit quant à lui ses fins de mois en jouant les consultants en création d'entreprises entre deux audiences. 'Personne ne dit tout, mais si tu n'as pas d'autres revenus, tu vas à la guillotine financière', confie-t-il, assis dans son bureau au premier étage du tribunal départemental de Thiès.

Longtemps une façon d'arrondir ses fins de mois, cette boulimie de travail s'explique aujourd'hui par d'autres considérations. Il s'agit de maintenir un niveau de vie mis à mal par la hausse ininterrompue des prix des produits de première nécessité.

Le litre d'huile est passé de 600 à 1 000 francs Cfa en deux ans, le kilo de riz, de 175 à 275 francs Cfa, et le prix de l'essence a presque doublé ! Le pouvoir d'achat des Sénégalais en a été d'autant diminué.

Source: Expansion

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