Défilé d’artistes jamaïcains cette année à Dakar

Le Sénégal est-il en train de devenir un carrefour du reggae en Afrique ? Tout porte à le croire, au vu des passages successifs en cette année 2008, de grandes têtes d’affiche du reggae mondial. De I Jah Man en passant par Morgan Héritage à Richie Spice, qui ont foulé le sol sénégalais pour redonner le ton à la musique de Marley, il semble évident que les rasta ont le vent en poupe au Sénégal, après une longue période où ils ont été caricaturés comme des « désaxés et fumeurs de l’herbe qui tue ».

Les balbutiements d’un renouveau du reggae au Sénégal
C’est à partir de 2007 que les premiers bourgeons du mouvement reggae ont commencé à éclore au Sénégal. Ce, malgré la présence depuis belle lurette de musiciens sénégalais convaincus de ce style. Mais malgré tous les efforts consentis, la musique reggae au Sénégal s’était toujours confinée dans un cadre intimiste. Aujourd’hui, le travail mené en sourdine depuis des années par Countryman jusqu’à l’avènement de Akiboulane, est en train de porter ses fruits. Présentement, deux jeunes, dynamiques et ambitieux, ayant en commun un amour sans faille pour la musique de leur cœur, le reggae, se sont lancés à l’époque, pour relever le défi. Fafady et Nubian ont ainsi décidé de conjuguer leurs efforts et d’harmoniser leurs voix pour redorer le blason à cette musique connue, mais trop souvent cataloguée comme une musique de perdition.

C’est d’ailleurs fort de ce constat, que Nubian Mady, un jeune musicien vivant aux Etats-Unis depuis près de 15 ans et Fafady très connu au Sénégal, ont décidé de lutter pour la cause de cette musique si chère à Bob Marley. Conscients que cette tâche ne sera pas de tout repos, ces deux baye-fall parce que c’est ainsi qu’ils se réclament, dévoilent leur stratégie. D’abord, ils unissent leurs forces pour mieux positiver l’image du reggae, car étant convaincus qu’au Sénégal, les rastas sont perçus d’un mauvais œil et qu’ils sont toujours assimilés à des fumeurs d’herbe. Ils se fixent par conséquent comme objectif de faire aimer cette musique aux plus jeunes et de les pousser à accorder une grande importance à un type de reggae spécifiquement sénégalais. « Croire en soi et connaître la vraie histoire de l’Afrique à travers le reggae. » Telle était leur conviction et pour ce faire, ils ont été les premiers à vouloir donner leur chance aux jeunes talents mais également de faire venir des musiciens jamaïcains au Sénégal.

Le premier acte de ce projet avait été lancé avec la sortie de l’album de Nubian Mady War is crime dont un titre est chanté en duo avec Fafady, Blaze it up. Une série de concerts s’en est suivie, histoire de mieux véhiculer le message. Le combat pour l’émergence du reggae au Sénégal est alors déclenché avec comme élément catalyseur, la tenue d’un festival de reggae devant réunir sur une même scène Nubian Mady et Morgan Héritage.

Le Djoloff reggae, ou l'accomplissement de la prophetie
C’est au mois de septembre dernier que s’est réalisé le miracle de la renaissance du reggae au Sénégal. Bien qu’on sentait ce vent souffler à petits coups à travers les prestations et les scènes de certains artistes locaux, notamment reggaemen, tout s’est précisément relancé avec le concert donné en début d’année par Trevor Sutherland dit « I Jah Man », un des ténors du reggae jamaïcain.

Ce fut lors du premier festival de reggae dénommé « Le Djolof Reggae ». Un évènement organisé par la journaliste Mame Maty Fall, plus connue sous l’appellation « Maty trois pommes » et la structure Countryman production, qui ont réussi le pari avec un modeste budget d’environ 12 millions francs Cfa. Plus de vingt artistes avait apporté leur touche pour la réussite de cette manifestation. Duggy Tee, Fafadi, le groupe Sélébayone, Iba Gaye Massar, Sister Ouly, Takanazion de la Gambie, entre autres, ont tenu en haleine les mélomanes pendant plus de quatre heures d’horloge.

Et le grand I Jah Man avait lui aussi gratifié le public de plus de 40 minutes de show. Ce qui avait fait dire aux reggaemen sénégalais que « cette initiative est une bonne chose, car elle nous permet de gagner notre place dans la musique sénégalaise ». Un avis partagé par Mansour du groupe Makaan J qui avait déclaré qu’il perçoit ce festival comme un moyen de se faire connaître du grand public. « Nous avons besoin de ce genre de manifestations qui peut mobiliser tous les mélomanes et nous permettre de gagner une place dans leur cœur », avait également soutenu « Maty trois pommes », pour qui, « l’essentiel a été justement d’avoir mobilisé le maximum de fans pour montrer la place qu’occupe le reggae au Sénégal, même s’il a tendance à être boudé par certains. » C’est ainsi que le ton fut donné pour positiver le reggae au Sénégal. Et l’année 2008 de s’illustrer comme l’année du reggae à travers la venue successive de grandes vedettes jamaïcaines.

Après I Jah Man, c’est Morgan Heritage qui pose ses valises à Dakar. Un évènement rendu possible grâce au groupe producteur Black Emotion qui en était à l’organisation de son premier évènement culturel au Sénégal. Un baptême de feu, qui fut cependant un coup de maître, puisque l’attachée de presse du groupe, Fatima Berthé avait révélé que pas moins de 100 millions ont été dégagés pour la bonne réussite de la cérémonie.

Au menu de ce séjour convivial des frères Morgan, trois dates de concert ont été alors retenues à savoir le 16 Janvier 2008 en soirée au Théâtre national Daniel Sorano, le 19 janvier 2008 en concert au Demba Diop, le 20 janvier 2008 en Sound System au Just4U. Ces trois dates ont servi d’occasion de faire plaisir à la jeunesse sénégalaise qui s’est prise d’affection pour Morgan Héritage, ce groupe jamaïcain de renommée internationale. Un premier passage en Afrique de l’Ouest à travers lequel les membres du groupe Morgan, en l’occurrence, Denroy, David, Jeff, Lukes, Memmalatel, Ray, Pater et Una ont fait savourer « le miracle » reggae, du nom de leur premier album.

Le public sénégalais est conquis. Puis, Sean Paul et Windel Beneto Edwards, plus connu sous le pseudo Gyptian, un autre artiste jamaïcain, en profitent pour mettre leur marque dans le mouvement et signer eux aussi, leur passage à Dakar. Puis, c’est le célèbre groupe américain Midnite Band, qui se fait par la suite, l’hôte du Sénégal. Tout porte ainsi à croire que Dakar est devenu en 2008, la relève du reggae africain. L’arrivée de Midnite Band sonne comme l’apothéose de la fête du reggae à Dakar. Car, le groupe dakarois Timshel, avait déjà contribué à populariser certains de leurs titres. La venue de ces héros du reggae pur, au message « Sélassien », a été perçue comme une bénédiction pour les adeptes du rasta. De plus, le premier spectacle que le groupe a donné le 23 juillet dernier, avait été symbolique à double titre. D’abord parce qu’il a lieu à Gorée, en terre africaine, où le Midnite a effectué son « pèlerinage rêvé », mais ensuite parce qu’il coïncide avec la date commémorative de l’anniversaire de l’ancien empereur d’Ethiopie, Hailé Sélassié I, qui symbolise pour les rastas, le représentant de Dieu sur terre.

Le descendant du roi Salomon et de la reine Shabbah est d’ailleurs très présent dans la discographie de Midnite (cf l’album Unpolished). Ce grand événement reggae a été une initiative de Deftek Production en collaboration avec Sunu Gaïndé World Wide qui, ne voulant pas déroger à la tradition, a programmé ses hôtes pour des concerts à Iba Mar Diop et au Just4U.

Des moments de communion avec la fanille rasta
Richie Spice, est pour l’instant, pour cette présente année, le dernier messager du renouveau reggae au Sénégal. Le dernier de la kyrielle d’artistes jamaïcains venus booster en 2008 le reggae en Afrique et plus particulièrement au Sénégal, c’est Richie Spice. Une manifestation qui s’est tenue le 15 août dernier, en marge de la fête de l’Assomption, grâce à Open Dream Productions et Apples qui ont été les maîtres d’œuvre d’un concert live au stade Demba Diop. Un évènement qui s’est placé dans le cadre de la première édition du festival African Diaspora.

« J’ai toujours rêvé de ces grands moments de communion avec mes frères africains », avait souligné au Kocc Bi, ce jeune musicien, par ailleurs, fer de lance de la nouvelle génération d’artistes jamaïcains. Il a en outre, comme pour faire passer le message de la « révolution reggae au Sénégal », invité les jeunes du Sénégal et d’Afrique, à « plus de conscience, pour une Afrique émergente ».

« Je pratique une musique d’engagement et je suis venu dire aux jeunes du Sénégal et au-delà, ceux de l’Afrique qu’il est temps de changer le monde. Nous devons avoir un langage d’amour et d’humilité », a laissé entendre le leader du groupe 5th Element Crew. Né en 1971 à Rock Hall, en Jamaïque, dans un environnement typiquement musical, Richie Spice est un enfant de la musique. En effet, sa famille a contribué à la création d’un pan de la musique jamaïcaine, puisqu’il est le fils d’artistes respectés de St-Andrew. D’ailleurs, ses quatre frères, Pliers bien reconnu sur la scène (en combinaison avec Chaka Demus), Spanner Banner auteur du morceau Life Goes On, ainsi que le DJ dancehall Snatcha Dog, sont eux aussi des bêtes de scène. Selon une note de presse, avant de travailler avec Clive Hunt, Richie Spice avait débuté avec le producteur Dennis « Star » Hayes et il sortit un Killing a sound, pas mauvais, mais qui ne rencontra pas le succès mérité. Mais avec Clive Hunt, il sort Time so Rough et Grooving my Girl, qui sont alors ses premiers succès.

L’artiste décide alors de partir travailler avec sa sœur Bridgett sur le label Bonner Productions Ltd appartenant à son frère Pliers, où il ressortira un premier album renommé Universal signé chez Heartbeat. Dans le courant des années 90, il part en tournée avec Spanner Banner, Chaka Demus et Pliers ainsi qu’avec Rita Marley pendant sa tournée 96-97 en Europe et aux Etats-Unis. Le 14 janvier 2005, Richie Spice sort en France chez Nocturne son second album officiel Spice in your life. Un opus encensé par la critique. Car se souvient-on, le journal New-York Times l’avait considéré comme la sortie 2004, The Los Angeles Times l’a consacré comme l’un des meilleurs albums de l’année tous styles confondus et en Jamaïque, tandis que le journal The Observer avait estimé que Richie Spice est l’artiste et le chanteur de l’année. Preuve que ce musicien s’est vraiment bonifié au bout de dix années. D’après certains artistes sénégalais qui le connaissent bien, notamment Dread Maxim, « son succès actuel était déjà envisageable à l’écoute de son ancien tube Earth a Run Red’s qui est ressorti sur l’album Universal ».

Le musicien jamaïcain y avait révélé une vision très précise de son environnement, avec un langage cru et qui rend sa chanson prophétique d’une apocalypse proche. L’auteur de Earth a Run Red’s, le top du chart jamaïcain 2004 n’était-il pas venu chanter cette même prophétie au Sénégal, à travers son concert du mois d’août dernier ? Sans aucun doute. C’est en somme, lui, Richie Spice, en maître de la relance du reggae en Jamaïque, qui, à la suite de ces pairs artistes pratiquant le reggae, est venu conclure la partition de la mobilisation pour la relance du reggae au Sénégal. D’ailleurs, Dread Maxim et Xuman, avec qui, Richie Spice n’écarte pas la possibilité de réaliser des duos, l’ont bien compris.

Pour eux, le reggae sénégalais est à nouveau relancé après une période difficile. « La musique reggae a pour vocation d’unir les peuples. C’est une musique qui a toujours cultivé l’union des cœurs. Elle est contre l’injustice. Elle prône l’égalité des personnes. Le reggae a toujours cette même vocation d’unification. Il a sa partition à jouer dans cette mobilisation des ressources humaines de l’Afrique. Ce genre est écouté un peu partout en Afrique. Il peut servir à faire passer les messages. Le reggae fédère toutes les autres cultures africaines. Nous avons vu que, dans le passé, ce courant musical a joué un rôle capital dans la conquête des libertés des noirs.

Aujourd’hui encore, beaucoup de gens l’écoutent en Afrique et comme dans le reste du monde », ont-ils expliqué, reconnaissant que c’est très dur de faire ce genre musical au Sénégal. « Depuis plus de quinze ans, les jeunes se donnent à fond pour l’imposer ici. On nous demande pourquoi le reggae a du mal à exploser dans notre pays. Ces personnes reconnaissent qu’on fait du bon travail. Au Sénégal, les personnes aiment beaucoup cette musique. Nous faisons de notre mieux pour la promouvoir et après le passage de tous ces artistes Jamaïcains, nous pensons pouvoir atteindre enfin nos ambitions, malgré le véritable problème de diffusion des morceaux reggae dans nos radios et télévisions », a défendu Xuman, qui plaide également pour qu’une « bonne formule soit trouvée afin de surtout satisfaire les fans du reggae ».

Source : Le Quotidien

Aucun commentaire:

 
{http://www.leboytown.blogspot.com/}.